I bet my life for you - Sashou

-Alors tant mieux Sasha... Tant mieux… je souffle avec lassitude.

J'ébouriffe tendrement ses cheveux, avec une douceur infinie. Et reste incapable de dire quoi que ce soit pendant quelques instants lorsqu’elle ajoute que ça lui donne de l’espoir, avant de répondre à retardement.
De l'espoir ? Je n'avais pas vu les choses comme cela… mais ce n'est pas une si mauvaise vision des choses. Sauf que… je crois que je ne parviendrais pas à rester positif. Oui, je m'en suis sorti après l'Arabie, elle a raison. Mais à quel prix. Après combien de mois de souffrances. Et surtout, tellement de justesse… j'étais plus mort que vif.

-Tant mieux... Si cela t'amène de l'espoir... C'est le plus important...

Moi non. Mais je m'efforce de paraître convaincu, de m'accrocher moi aussi à ce qu'elle me dit.

-Pas encore. je réponds quand elle me demande pour le lapin. Dors Sasha. Tu luttes alors que tu ne devrais pas.

Elle devrait vraiment dormir. Reprendre des forces.
Je tourne la viande et me mords la langue pour me retenir de saliver. J'en aurais trop honte. Quoique le ridicule du spectacle nous tirerait peut être un rire.

Elle est têtue comme une mule. Même à deux doigts de s'évanouir elle me tient tête comme si c'était aussi facile que respirer pour elle. Et si d'ordinaire je m'amuse de ce trait de caractère, là, j'aimerais surtout qu'elle cesse. La situation ne s'y prête pas.
Et naturellement, je finis par céder. Parce que dans tous les cas là c’est un combat perdu d’avance. Je ne peux pas la forcer à dormir. Même si par hasard j'avais eu des herbes tranquillisantes, je ne lui aurais jamais imposé un sommeil non désiré. Ni quoi que ce soit d'autre d'ailleurs. A moins que ses jours ne soient réellement en danger et qu'elle ne soit pas en état d'agir par elle même.

-Bon. je souffle.

Il faut que je trouve très vite une idée, quelque chose pour qu'elle tienne jusqu'à ce que le lapin soit cuit.

-Alors parle-moi pour rester éveillée… Raconte-moi… n'importe quoi. Tiens, comment tu as eu Lady ?

Je crois bien qu'elle ne me l'a jamais dit.
Dieu du ciel, merci, nous ne sommes pas dans ce merdier avec nos montures. Je n'aurais pas voulu que Khamsin meurt ici avec nous, ou sous nos yeux. Et Lady non plus. Jamais. Je ne l'aurais pas supporté.

J'écoute attentivement et souris doucement au fur et à mesure qu'elle avance dans la narration de son histoire, attendri.

-C'est une belle histoire... Et c'est surprenant qu'une aussi belle jument n'ait pas de propriétaire et ait autant erré.

Je l’écoute dérouler le fil du dressage qu’elle a mis en place, après avoir hoché la tête lors de ses suppositions quant à l’origine de la jument. Intéressant. Où a-t-elle appris comment faire ?

-Tu as bien fait, j’acquiesce au moment où elle parle du travail à pied. Et tu as eu de la chance. Même si c'était bizarre qu'elle ne soit pas restée avec son groupe.

Elle les avait peut-être perdu. Dans la panique, les groupes se séparent parfois et si elle était déjà suffisamment âgée et autonome… mais qu'importe. C'est à la fois surprenant et touchant de constater que nous avons tous les deux une histoire semblable avec nos chevaux. Deux âmes sauvages que nous avons sauvées, accueillies, soignées et en un sens, choyées. Et qui, d'une étrange manière, nous le rendent bien.
Je vérifie la cuisson du lapin et le retire du feu. Mmh j'ai mal jaugé. Presque. Les pattes sont cuites, mais pas le reste. Je les découpe soigneusement et les tends à Sasha avant de remettre à cuire le corps.

-Les pattes sont cuites, tu vas pouvoir manger.

Je pouffe. Quelle image absurde elle me donne.

-Je n'ose pas t'imaginer à quatre pattes avec une crinière.

Elle engloutit toutes les pattes en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Et je me sens enfin tranquillisé quand elle accepte de se laisser aller à dormir.

-Non, dors.

Je la laisse se lever mais viens près d'elle alors qu'elle s'installe pour se coucher. Je fais une boule avec ma couverture et la glisse sous sa tête pour qu'elle s'en serve de coussin, mais elle est tellement faible qu'elle est déjà endormie. Et profondément en plus.
Je finis de cuire le reste de lapin, en mange un bout mais n'insiste pas quand je sens mon estomac se révulser. Ok. Trois bouchées ça suffira. Autant essayer de les garder.
Bien. Il est temps d'aller se laver parce qu'à ce rythme là mon odeur de cadavre va finir par attirer tous les prédateurs de la région. Je titube jusqu'à l'entrée de la grotte, m'en éloigne d'un ou deux mètres, me dévêtis et me frotte vigoureusement avec de la neige. Merveilleusement AFFREUX C'EST GLACÉ ÇA REVEILLE ENCORE PLUS MES DOULEURS ET BORDEL JE VEUX DU SAVON POURQUOI JE L'AI LAISSÉ DANS LA SALLE D'EAU DU DIRIGEABLE SÉRIEUSEMENT. Mes vêtements passent également au lavage hivernal et c'est transi de froid que je reviens près du feu, tremblant comme une feuille, mais plus propre et un peu moins puant.

J'ai récupéré encore un peu de bois au passage. Il ne faudrait pas que nous n'ayons plus de combustible, le froid et l'humidité nous rattraperaient trop vite et risqueraient de nous tuer aussi efficacement que n'importe quel prédateur affamé. Je range les branches et les brindilles près des flammes pour qu'elles sèchent.
J'étale mes vêtements près du feu également et soupire en constatant que l'odeur que nous dégageons eux et moi est tout de même biiiien moins pire. J'enfile une des tenues de rechange de mon sac. Pantalon, chemise, chaussettes, et... C'est tout. Je n'ai qu'un seul pull... Tant pis. Je souffle dans mes mains, luttant contre l'épuisement et la douleur.
Je sursaute quand j'entends la voix de Sasha briser le silence. Je ne pensais pas qu'elle était déjà réveillée !

-Parce que tu dormais dessus…

Je lui adresse un pâle sourire. Elle en avait besoin, et moi non, à ce moment là.

-Comment te sens-tu ? je demande avec douceur.

J'enroule la couverture autour de moi et soupire de soulagement. Même si en réalité j'aimerais plutôt plonger tout entier dans les flammes pour me réchauffer. Ou dans un bain brûlant. Avec un peu de mousse de savon parfumé au jasmin. Ou encore mieux, à la fleur d'oranger. Ou à d'autres fleurs d'ailleurs.