Cold fire burning water - Akakos

Cold fire burning water

Akakos (Lily) & Ciara la saucisse d'eau

Cette journée commençait pourtant si bien. Malgré la fraîcheur du début de printemps, le soleil était resplendissant, les gens étaient même plus polis et agréables que d'habitude. J'ai eu droit à pleins de sourires en réponse au mien, qui ne me quitte que très rarement. Oui, vraiment un merveilleux jeudi…. Jusqu'à ce que le facteur vienne frapper à la porte de ma petite boutique.
Je suis un peu surprise, je n'attendais pas vraiment de courrier à vrai dire… et encore moins une lettre de mon frère Kieran. D'ordinaire, quand il m'écrit, il utilise l'adresse de mon domicile. Sauf si… mmh, oui. Lorsque je lui parle de choses très délicates à propos de mon mariage, il lui arrive de me répondre des choses tout aussi délicates, et pour éviter un potentiel coup d'oeil indiscret de Keenan…
La seconde lettre, cependant, ne m'est pas adressée.
Je ressors de ma boutique, verrouille la porte et m'élance à vive allure derrière le facteur en le hélant. Je ne le rattrape qu'une fois le bout de la rue atteint et lui rends le pli arrivé par mégarde dans mes mains. Sans plus attendre, j'ouvre l'enveloppe qui porte l'écriture de mon frère et commence à lire tout en marchant d'un pas lent, rasant les murs pour éviter tout accident avec les voitures et les cavaliers.
Plus ma lecture avance, plus moi je ralentis. Jusqu'à ce que je me fige en lisant les derniers mots.
Le choc est tel que je sens mon corps changer malgré moi, d'un coup, comme s'il s'agissait d'un tour de prestidigitation effectué par un magicien particulièrement talentueux.
Le sol est soudainement beaucoup plus près de mes yeux, les odeurs et les bruits deviennent insupportables et tandis que j'essaie de retrouver mes esprits, écrasés par mes instincts sauvages de petite loutre affolée, les premiers cris commencent à se faire entendre.

-Un rat ! Un énorme rat !
-Oh mon dieu quelle horreur !
-Mais faites quelque chose !

Les mots se mélangent de plus en plus pour ne former que le brouhaha d'un langage que je suis en train d'oublier. Je crache et crie sur un homme gigantesque qui s'approche de moi, les crocs découverts. Il a une espèce de bâton à la main. Je n'attends pas d'y goûter, je bondis sur les pavés, au milieu des sabots des chevaux, des roues des voitures et pieds des passants paniqués.

Je saute, esquive, me laisse glisser sur les pierres, roule. Je crie de plus en plus fort. Je voudrais rejoindre l'eau. Mais je ne sens pas l'eau par ici, que le crottin, la sueur, la puanteur de la ville.
Un choc, qui vient de quelque part sur ma droite, quelque chose qui me cogne fort à l'épaule. Je vole, m'étale sur les pierres. Sonnée, je reprends ma course folle quoique titubante, jusqu'à ce que des mains se saisissent de mon petit corps poilu. Des mains glacées. Je m'agite, me débats et tente de leur échapper avant de renoncer en les sentant trop fermes pour que cela soit possible. Je tourne la tête vers le visage encadré de mèches blondes à qui ces mains appartiennent en criant affreusement fort.

Cold fire burning water

Akakos (Lily) & Ciara la saucisse d'eau

Akakos le reconnaissait, elle avait fait du lard ce matin. Elle aurait dû se lever un peu plus tôt car il y avait une commande importante à faire et elle n’était pas du genre à ne pas tenir ses délais. C’était gage de sérieux et si elle voulait se faire un nom dans le milieu naissant de la haute couture, elle ne devait pas faillir, ou même faiblir, à la tâche. Mais voilà, il y avait des jours avec et des jours sans. Aujourd’hui était un jour sans.

Elle avait passé une nuit agitée, si l’on pouvait encore appeler ça une nuit. Malgré la présence rassurante d’Anastasis et d’Eos à ses côtés, elle n’avait pas réussi à fermer l'œil. Oh, ce n’était pas tant que le sommeil se refusait à elle, au contraire. Elle avait bien mangé, elle avait un peu bu, elle avait passé une bonne soirée, épilogue d’une bonne journée, mais quand les ténèbres s’étaient posées sur elle, quand il était l’heure de les laisser l’engloutir pour une nuit qui devait être tout aussi bonne, les cauchemars étaient arrivés.

C’étaient dans les ténèbres qu’elle avait été enfermée pendant des mois. La nuit ne la dérangeait pas, car si un phénix de feu se nourrissait du soleil,  un phénix de glace comme elle se nourrissait de la Lune. Seulement, au fond d’un cachot sans fenêtres, il n’y avait ni lune ni soleil.
Sans faire de bruit, elle s’était levée, pour s’installer à l’extérieur, le dos contre la porte fenêtre du jardin. Ainsi, s’il y avait un quelconque danger, elle pouvait courir se mettre à l’abri dans le nid. L’air nocturne londonien était frais, et cela lui faisait du bien, mais la lune ne s’était pas vraiment montrée, cachée derrière les nuages.

Comme c’était souvent le cas, ce fut sur le petit matin qu’elle piqua du nez, pour se réveiller un peu tardivement. Dans son lit. C’était là l’œuvre de son frère ou du Lamatsu qui dormait ici, voir d’Eos, mais qui avait dû solliciter l’un ou l’autre. En tout cas, son petit secret nocturne était éventé, mais il devait l’être depuis longtemps à la réflexion. Ceci dit, d’habitude, elle arrivait à rentrer avant de s’endormir, pour les faux semblants. C’était gentil à eux de l’avoir laissé dormir un petit peu, songea-t-elle en marchant dans la rue. Elle croisa le facteur qu’elle salua amicalement, ayant l’habitude de le voir à la boutique. Ce dernier semblait lui aussi de mauvaise humeur et se sermonnait doucement de s’être trompé. Elle le rassura en lui disant qu’il faisait du bon travail et poursuivit sa route.

Elle était revenue dans le monde présent. Akakos ne pouvait pas se permettre de ne pas être à l'affût. Elle était seule ce matin. Il n’y avait pas le gardien pour la protéger d’une éventuelle attaque aussi guettait-elle son environnement. Si au départ, elle avait craint de sortir de la maison, elle s’était convaincue qu’elle devait vivre par elle-même. Maintenant qu’elle était bien dans le monde extérieur, elle regrettait son élan de témérité en longeant les murs.

Les cris achevèrent de la mettre en alerte. Elle vit le “fameux rat” qui attirait toute l’attention, en se disant que la bestiole avait plus l’air d’une loutre que d’un rat. Cependant, la véhémence soudaine des citadins trop habitués à réprimer la nature qu’à l’accepter, termina de faire gonfler le peu de courage de la jeune femme qui ne pouvait pas laisser un animal se faire battre impunément. Si elle n’avait pas beaucoup de tempérament pour elle, elle savait en avoir pour les autres, surtout les êtres sans défense.

Focalisée sur sa cible poilue, Akakos virevolta entre les gens, les voitures, les cavaliers, s’excusa, avant de finir les fesses sur le pavé, percutée par le poitrail puissant d’un cheval hennissant. Le cavalier enlèva son chapeau après avoir calmé sa monture, soucieux de se préoccuper de cette Lady qu’il venait de renverser malencontreusement, et qui était tombée à quelques pouces d’un beau tas de crottins encore bien chaud. Mais cette dernière se relèva prestement, tout en se massant un peu l’épaule :

« Mes excuses monsieur ! » lance-t-elle en se remettant en route, alors que la petite boule de poil était percutée à son tour. Le temps pour elle de rouler sur le pavé et Lily était déjà dessus pour l’attraper fermement et la ramener dans son giron. Elle continua de courir un peu tandis que l’animal se retournait et grognait sur elle. Peu intimidée, encore que pas très rassurée, la jeune femme lui décrocha un petit sourire d'excuse avant de s’arrêter de courir, haletante, dans une ruelle moins animée, laissant derrière elle les émois des bonnes gens horrifiés de voir une jeune femme attraper un rat à main nue et de s’enfuir avec.

Elle a même cru entendre quelque chose comme : pauvre enfant, elle n’a que ça pour se nourir. Essoufflée, elle ne pouvait pas se risquer à déposer la loutre par terre. Cependant, elle ne voulait pas se faire mordre non plus. Alors, d’une voix douce, malgré son timbre un peu rauque, elle lui fit la causette tout en la tournant vers elle :

« Chuuut, calme toi petite loutre, c’est fini, je ne te veux pas de mal, d’accord ? Laisse moi t’emmener à la Tamise, tu n’as rien à faire ici loin de l’eau. J’aime beaucoup l’eau moi aussi tu sais ? Tu arrêtes de cracher sur moi ? Je ne te ferai pas de mal, mais les gens là-bas, oui. Ne me mord pas, tu n’aimerais pas ça… Je ne t’en voudrais pas, tu as dû avoir peur, mais ne me mord pas… La la, on se calme. » dit-elle en reprenant sa respiration petit à petit.

Cold fire burning water

Akakos (Lily) & Ciara la saucisse d'eau

L'humaine qui m'a attrapée me montre les crocs et je crie encore plus fort, à faire exploser mes cordes vocales autant que les oreilles de ma geôliere, mes petites dents pointues découvertes avec agressivité. Peut être que ça suffira à lui faire peur ! Grrr !
Mais elle… me menace ou… ou elle… me sourit ? Je sais sourire moi aussi ? Je crois que oui… je ne suis pas qu'une loutre n'est ce pas ? Je cesse soudain de m'égosiller pour écouter la douce litanie de la jeune femme, positionnée face à elle. Je renifle tout doucement dans sa direction, émet un petit sifflement aigu en réponse à ce qu'elle dit.
Lentement, mes esprits me reviennent. Les mots prennent un sens. Mon coeur ralentit, je respire plus tranquillement, et je me fais plus molle entre les bras qui me tiennent, un peu plus détendue.
Que me disait-elle ? La Tamise… elle aime l'eau. Moi aussi, mais celle de la Tamise n'est pas agréable, elle pue, on y voit pas bien… je préfère largement les ruisseaux et les fleuves de la nature.
Je lâche un adorable couinement et baille soudainemant. Tout cela m'a épuisée. Je prends le temps d'observer les lieux. La rue est petite, étroite, et actuellement, déserte. Je crois que je ne risque rien, même si je reprends ma forme humanoïde. Elle n'a pas eu l'air surprise de tomber sur une loutre en pleine ville. Elle ne sent pas vraiment tout à fait comme les humains -je trouve même qu'elle sent meilleur, son odeur est plus douce, plus sucrée, plus discrète aussi. Et ses mains au froid presque transperçant… Je ne sais pas ce que tu es jolie mademoiselle, mais crois que je suis en sécurité près de toi.
Je me tortille un peu pour échapper à sa prise, roule souplement sur ses pieds et me redresse en reprenant forme humaine. Accroupie devant elle, les cheveux en bataille et les joues écarlates, je me recoiffe vaguement, les doigts encore tout tremblants d'émotion.

-Merci… Vous m'avez sauvée d'une très mauvaise passe. je murmure.

Je porte une main à mon épaule en grimaçant et la palpe soigneusement. Elle n'est pas brisée heureusement.
Je lève les yeux sur le doux visage de ma sauveuse et lui souris.

-Je m'appelle Ciara… et vous ? Et vous, qu'êtes ? Vous n'êtes pas humaine, vous ne sentez pas comme eux.

Je me relève enfin, encore un peu sonnée. J'espère ne pas paraître impolie, mais en même temps, après ce qu'il vient de se passer… je crois qu'on ne peut faire pire en matière de présentations.