Akakos Anderson | Petit croissant de lune

« TW : viol »

Pourquoi ? Pourquoi est-ce qu’il ne parvenait pas à faire comme son frère et à sortir du nid comme ça ? Pourquoi est-ce qu’il trouvait ça dangereux de ne pas respecter les règles ? N’étaient-elles pas ancestrales ? N’étaient-elles pas là pour quelque chose ? Ne serait-ce pas le meilleur moyen pour se brûler les ailes, ce qui serait un comble pour un oiseau comme lui ? Et pourtant, pourtant, il voyait bien que son frère en retirait une grande fierté et une immense joie. Akakos le reconnaissait volontiers lui aussi, quand il s’aventurait hors du nid, l’expérience était plaisante, formidable, mais teintée d’un voile qui ne se levait pas : celui d’enfreindre la règle.

Les humains ne lui inspiraient pas une grande confiance non plus, même si, quand ils l’admiraient, le sentiment que cela produisait en lui était vertigineux. C’était sans doute cela qui poussait son frère Anastasis, à continuer à s’évader du nid alors qu’il n’avait pas l’âge. Les hommes étaient pourtant ambivalents. Akakos avait déjà vu un père prendre soin de son fils, le traitant comme la prunelle de ses yeux, et quelques jours plus tard, voir ce même père égorger un autre homme parce qu’il lui avait volé sa bourse. Cette bascule d’un amour sans nom à une violence innommable, il ne la comprenait pas. Les gens ne faisaient-ils pas partie du même monde ?

Il n’empêche, il pouvait comprendre son frère. Quatre cents ans. Pour des oisillons comme eux, attendre aussi longtemps était vraiment long… très long. Ils n’avaient pas encore eu le loisir de vivre aussi longuement que les vieux phénix Kyrios, qui avaient certainement oublié ce qu'étaient les premières années de la vie. Il était normal d’être curieux ! Et puis, n’étaient-ils pas magnifiques, l’un dans son plumage digne de l’astre solaire, l’autre dans sa ramure digne de l’astre lunaire ?

Mais voilà, le monde n’était pas rose. Et quand il avait fallu défendre l’île, Akakos l’avait expérimenté. Il avait bien essayé de trouver des solutions moins radicales, mais qui écoutaient un jeune Néo comme lui ? Il comprenait qu’il était nécessaire de protéger le nid, ce havre de paix, ce paradis terrestre, cet endroit où il se sentait bien. Mais à quel prix ? Il était mort pour la première fois dans ces incendies et les humains n’y étaient pas étrangers.

Passée cette épreuve, Akakos resta longtemps au nid, à s’occuper des éclosions entre autre. Sa soif de découverte du monde était douchée par un sentiment de crainte injustifiée, et ce n’était pas les nombreuses morts et autres déboires de son frère qui l’aidait à se faire une raison et à partir explorer. Il était bien plus confortable de rester au nid et de faire une excursion quand il s’agissait d’aller récupérer Anastasis qui était décédé. Il avait une grande peine pour son frère, après la mort de sa bien aimée. Si cette dernière était partie dans ses flammes, le reste de son existence éternelle se ferait sans elle. Akakos n’était pas sûr de survivre à pareil sentiment ! Il devait donc s’en prémunir. De toute façon, il avait son frère à aimer pour la vie, même si ce dernier lui donnait du travail et des soucis !

En parlant d’amour, ces deux là essayèrent vainement de concevoir un œuf, surtout que cela était rendu possible par le fait qu’Akakos était devenue une femme après sa dernière renaissance. L’idée n’était pas seulement de faire perdurer l’espèce, mais bel et bien de fonder un foyer ensemble. Une famille. Un clan. Cela serait tellement magnifique. Ils pourraient vivre ensemble pour l’éternité sans se soucier de savoir si l’un ou l’autre partirait avant l’autre, avec la certitude de se retrouver et d’élever de petits phénix. Ne serait-ce qu’un phénix.
Malgré un amour sincère et fraternel, rien n’y fit et aucun oeuf ne semblait vouloir se fixer dans le ventre d’Akakos. Cela tourna à l'obsession pour Anastasis, toujours plus emporté que son frère dans ce qu’il faisait dans la vie. Même si Akakos le montrait moins, elle en était toute aussi bouleversée, bouleversée de ne pas arriver à créer ce rêve, ce foyer, de ne pas arriver à donner cet ultime cadeau à son frère. Aussi décida-t-elle de s’en aller du nid. Voir les éclosions lui pesait, et l’envie de voir le monde s’imposa à elle.

Peut-être que si elle était plus forte, plus sûre, plus mature, plus ouverte, elle pourrait donner un œuf à son frère. Cela serait une consécration. Alors elle vola. Elle vola au travers des mers et des océans, au-dessus des terres, et elle se posa en Amérique du Sud autour de l’an mille. Elle fit la rencontre d’une civilisation, les Chachapoyas.

Qu’est-ce qui la poussa à se poser là ? Peut-être était-ce la première fois qu’elle survolait pareille jungle luxuriante avant de tomber sur ces forêts des nuages, ensembles d’arbres et de plantes prisent dans un nuage brumeux qui leur donnait un air spectral, ou peut-être était-ce la première fois qu’elle tombait sur une forteresse plantée au milieu de tout ça, intégrée dans le paysage, posée là par une civilisation qu’elle ne connaissait pas, peuplée de gens, grands, beaux, à la peau blanche tout comme elle. Peut-être que cette citadelle, qui se nommait Cuélap, n’était qu’une extension du nid ? En tout cas, perchée comme ça sur cette montagne, elle lui donnait cette impression, gage de sécurité.

Elle mit du temps avant d’oser se montrer. Sous sa forme de Phénix, elle avait attiré les regards. Cet étrange oiseau inconnu qui vivait dans la jungle aux alentours n’était pas pour passer inaperçu. La peuplade commença même à lui apporter des offrandes pour attirer ses faveurs et son attention. Les gamins se faisaient un plaisir de venir essayer de la trouver. Elle craignait de se montrer sous sa forme humaine, surtout qu’elle ne comprenait pas la langue. Alors, elle passa quelques années en marge, et elle intégra sans trop s’en rendre compte le dialecte. Elle ne s’autorisait à disparaître que quand ils se montraient particulièrement sanglants, avec eux-même la plupart du temps. Sacrifices, auto sacrifice, ils semblaient aimer le sang pour son énergie vitale, afin de faire tourner le monde correctement. Mais ces pratiques étaient ancrées dans leur société, et elles n’étaient pas vouées à répandre le mal mais à célébrer la vie, ou du moins, à la faire perdurer. Akakos en vint à tolérer, puis à trouver du sens. Elle s’imprégnait de la culture petit à petit.

Alors un beau jour, elle se révéla, et elle s’intégra à sa façon, en étant douce, pacifiste, craintive par certains côtés, mesurée par d’autres, mais elle parvint à faire sa place dans cette société. Au fond, que connaissait-elle du monde ? Les romains par le biais d’Anni ? Mais ensuite ? C’était véritablement la première fois qu’elle se mêlait aux hommes et aux femmes de cette planète.

Le premier problème se présenta à elle quand on lui fit sentir qu’elle devait participer pour les sacrifices. Il s’agissait de se percer la langue avec une épine de porc-épique pour ensuite donner son sang en offrande. La chochotte qu’elle était tergiversa pendant de longues lunes avant de songer ne serait-ce qu’à essayer. Elle n’avait pas trop le choix en réalité, car tout le monde participait à ce genre d’auto sacrifice, pour des raisons variées. Alors, elle hésita longuement, inspira, expira, s’apprêtant à le faire avant de se raviser. Elle pleura aussi beaucoup, par anticipation surtout, par crainte… et puis la délivrance vint de son frère. Quelque part en Russie, il était mort. Enfin, elle était morte.

Alors elle retourna le chercher, disparaissant du Pérou pour récupérer le corps de son frère, faisant son œuvre de témoin. C’était toujours une épreuve de le récupérer selon l’état dans lequel il se trouvait. Elle le ramena au nid où elle le veilla jusqu’à sa renaissance. Chaque mort était un moment privilégié où elle retrouvait son frère pendant vingt-cinq ans au moins. Des moments qu’elle chérissait, même si elle voulait toujours à ce dernier de mourir aussi souvent. Il ne le méritait pas, mais c’était un casse-cou !
Cette fois cependant, elle partagea sa colère et sa tristesse. Il attendait un oeuf ! Et on l’avait tué avant qu’il ne puisse le pondre !! Un oeuf !! Elle comprenait sa rage et sa démesure, mais elle ne pouvait pas le voir se corrompre pour ça. Sa vengeance ne ramènerai pas le petit phénix qu’il avait perdu.

Elle parvint à le raisonner en voulant mourir avec lui. Une vie sans lui serait impossible. Que deviendrait-elle sans son accroche dans ce monde ? Elle voyait dans cette haine une influence malsaine de son nouvel ami. Le démon de l’envie. Il avait eu le temps de lui en parler, en vingt-cinq ans.

« Anastasis, tu sais que je ne te demande pas grand-chose, mais je crois que tu devrais prendre tes distances avec ce Sam. »
« Pourquoi donc ? Il est tourmenté, je peux le guider vers la lumière. » répondit-il avec cette naïveté assez obsédante de vouloir guider les pires âmes vers le soleil.
« J’ai l’impression que… que c’est lui qui te guide… qu’il te guide vers les ombres plus que tu ne lui guides vers la lumière. Je m’inquiète. »

« Il ne me guide pas…avec moi, il ne fait plus le mal. Mais je ferai attention.  »
Akakos l’avait longuement regardé dans les yeux, son nez collé au sien, comme pour y chercher de quoi contester, mais elle secoua la tête. Son frère était toujours son frère et elle n’aimait pas le conflit. Alors, avec un petit sourire tendre, elle avait simplement demandé : « Promis ? Et si tu as besoin de moi ou si tu sens que tu noircis, tu m’appelles. » Et pour une fois, son ton semblait non négociable.
« Promis. » avait-il dit en lui donnant un petit coup de tête, ne se doutant pas que dans le futur, elle aurait eu raison.

Rassurée et soucieuse de retrouver cette civilisation qui lui avait tant plus, elle était retournée au Pérou. C’est là qu’elle connut sa deuxième mort violente. Les Chachapoyas étaient alors en guerre contre les Incas. Blessée lors de sa capture, son sang bleu fut jugé comme responsable de beaucoup de maux et il convenait de la vider purement et simplement pour que plus une goutte de ce sang souillé ne puisse faire de mal aux cycles de la terre. Alors, elle fut suspendue la tête en bas à un arbre et égorgée. Parfois, elle sent encore la lame trancher sa peau tendre et le sang s’échapper de sa carotide et de sa jugulaire.

Elle savait que cette mort avait marqué Anastasis, peut habitué à la retrouver assassinée, mais ce n’était rien comparé à sa troisième mort violente. Embarquée sur un navire, Akakos regrettait d’être revenue une nouvelle fois en femme, alors que le monde de la navigation ne comptait que des hommes. Mais voilà, elle tenait à faire le voyage avec ces conquistadors espagnols dans le but de leur apprendre à respecter les civilisations qu’ils essayaient de conquérir en Amérique du Sud. Si elle leur en parlait, si elle leur racontait les merveilles, les délices, leur histoire, leur culture, ils seraient sans doute plus enclins à ne pas éradiquer ces peuples, non ? Alors, grimée en matelot, elle s’était embarquée sur un navire en partance. Elle n’était pas le meilleur mousse du bord, mais elle se donnait de la peine pour faire illusion. Malgré les conditions de navigation, elle prenait sur elle pour ne pas faire sa chochotte, guérissant ses ampoules et les diverses petites blessures qu’elle pouvait se faire avec ses larmes.

Elle s’enticha de l’autre jeune mousse, un petit matelot de seize ans, plein de vie et de vitalité, d’esprit et d’humour. Il avait la fougue et l’insouciance de son âge, et il aimait les histoires de celui qui se faisait appeler Lorenzo. Un peu idéaliste certainement, il espérait que tout se passerait pour le mieux, et, un peu honteusement, Akakos s’en servait comme d’un messager auprès des autres membres du bord. Elle fut trop familière avec lui, sans arrière pensée, car petit à petit, les vieux moussaillons remarquaient que les deux mousses étaient souvent très proches, et cela n’allait pas dans le bon sens d’une expédition réussie. Pourtant, il ne fallait pas se leurrer, chez les matelots partis dans de longues aventures, les relations entre hommes n’étaient pas rares, et pas toujours consenties non plus. Alors, quand un vieux briscard coinça ce Lorenzo dans un coin de cale humide, avec ses airs de jeune homme efféminé, Akakos se fit violer sans autre forme de procès. Et forcément, la rumeur qu’une femme se trouvait à bord enfla rapidement.

Anastasis récupéra Akakos flottant sur des morceaux de bois du navire, agglomérés en iceberg. Les alentours étaient dignes d’une mer polaire. Epuisée, elle était morte de faim après avoir détruit le navire. Dans son giron glacé, le petit mousse qu’elle avait apprécié était tout aussi mort qu’elle.
Son frère fut une grande source de réconfort quand elle naquit de nouveau, revenant à sa première forme, celle d’un homme. Akakos avait particulièrement besoin d’Anastasis pour se relancer, mais sa confiance et sa croyance en les hommes étaient perdues pour un bout de temps. Son frère fut là pour elle, lui rendant la pareille de toutes les fois où elle avait été là pour lui. Il lui compta son calvaire dans cette cale, la perfidie des hommes, le courage de son ami mousse qui avait été jeté par-dessus bord pour avoir tenté de se mutiner contre l’équipage, ce qui avait provoqué sa colère. Une colère qui la faisait culpabiliser, car elle avait enlevé la vie de nombreux hommes ce jour-là.  Chose qu’il ne lui dit pas, fut que sous l’influence du dégoût de son aventure, Anastasis avait retrouvé ce bateau, ou du moins ce qu’il en restait, et il l’avait brûlé en mer… un excès dû à son unique plume noire… mais aussi le besoin de venger sa sœur qui n’avait pas mérité d’être abusée.

Pourquoi n’étaient-ils pas tous comme Anni ? Il avait ses défauts lui aussi, mais il était bon et doux. Elle l’aimait tant, d’un amour que les humains ne pourraient jamais toucher du doigt.

« Je peux te faire une promesse ? » avait-il demandé à son frère. « Un jour, parce que tu es mon témoin, mon ami, mon amour, je te promets que je te donnerai un oeuf, un oeuf comme on l’a toujours voulu. »
« On se le promet à tous les deux. Et on fondera notre nid, loin des règles anciennes. » Anastasis, le rebelle, toujours en opposition avec le nid mais qui voulait toujours bien faire.
« Loin des règles anciennes. » avait-il répété, sans chercher à le contredire et en réponse le phénix solaire  l’avait embrassé dans cette joie communicative, lui rappelant cette promesse éternelle et son engagement.

En quête de renouveau, de confiance et d’amour dans l’humanité, Akakos s’envola pour l’Inde quand il entendit parler d’un projet d’un empereur qui voulait rendre hommage à son épouse décédée en donnant naissance à son quatorzième enfant. Par amour, il voulait lui créer un mausolée démesuré. Ainsi, les humains étaient capables d’aimer par delà la mort, de façon inconditionnelle et sans limite. Il devait voir ça. Il devait vivre ça. Pour se réconcilier avec l’humanité !

Un peu refroidit cependant, il ne s’impliqua pas tout de suite dans le projet. En plus, il n’était pas du cru, ce qui n’aida pas à l’intégration. Cependant, à force, au bout de quelques années, Akakos s’était créé quelques souvenirs sympathiques et avait même participé à résoudre une légende bien sombre.
Il resta de longues années en Inde, séduit par le rythme de vie et les rites, les traditions, qui devaient aussi inspirer ses illusions. Aussi, quand il mourut naturellement, et qu’il revint au nid, il s’était réconcilié avec les humains. Il se drapa de nouveau de ses atours de femmes, bien désireux aussi de renouer avec sa féminité bafouée dans les cales du navire. C’était une bonne façon de conjurer le sort après tout ce temps.

Et la voilà cette fois en Italie. Ce fut dans l’art qu’elle trouva son chemin, en devenant artiste de cirque au Harlequin Circus ou elle fit sensation avec ses illusions. S’investir dans un numéro lui demandait beaucoup de temps et d’énergie, mais elle adorait littéralement ça. Elle était objet et source de fascination pour les gens qui venaient la voir, ce qui était une forme d’apothéose quand on était un phénix comme elle.

Quand Anni s’engagea dans l’armée anglaise pour faire la guerre des Indes, elle n’en fut pas spécialement ravie, mais ainsi allait l’époque. Akakos était satisfaite de ne pas prendre part aux conflits. Elle espérait tellement que les humains puissent vivre sans se battre ! Son frère n’aurait pas besoin de faire ça pour vivre.
Il n’empêche, quand le cirque se déplaça pour se rendre en Angleterre, Akakos y vit un signe. C’était l’une des premières fois où Anastasis et elle se retrouvait ensemble dans un même pays loin du nid. N’était-ce pas le moment d’essayer de tenir cette promesse qu’ils s’étaient faite il y a longtemps ?

Au cirque, elle rencontra un anglais, un couturier qui comptait monter son affaire à Paris, un certain Charles Frederick Worth, qui, charmé par l'illusionniste, souhaitait faire d’elle sa muse. Depuis l’arrivée d’un homme capable de produire du feu assez sombre, Akakos ne se sentait plus très bien dans la troupe. Alors, cette proposition tombait à pique, elle se laissa embarquer vers la capitale française et participa à l’ouverture de la première boutique de haute couture, où elle fit quelques défilés, une grande première pour l’époque mais qui trouvait déjà son engouement. Encore une fois, elle était une idole, quelqu’un que certains vénéraient pour sa beauté, et elle en tirait une grande fierté et une grande vitalité. Mais son cœur était en Angleterre, et Charles se montra… indélicat avec elle, lui rappelant les cales sordides d’un certain navire espagnol. Ne comptant pas revivre ce calvaire, et adoptant une stratégie payante, elle s’enfuit pour Londres retrouver son frère.

Elle comptait maintenant monter sa propre maison de haute couture, et elle lança les Soies de la Lune, qu’elle espérait bien parvenir à gérer, ce qui était un sacré challenge pour quelqu’un comme elle qui évitait le conflit. C’était sans doute pour ça qu’elle n’employa personne au départ.

Concurrence déloyale ou amour fou, toujours est-il qu’un beau matin glacial de décembre, alors qu’elle ouvrait sa boutique, Charles l’attendait au coin de la rue avec quelques sbires de sa connaissance, dont un ancien du cirque qui connaissait les origines mystiques de celle qui se faisait appeler Lily. L’homme qui la mettait mal à l’aise et qui l’avait conduite à quitter la troupe du Harlequin. Ils enlevèrent la belle avant qu’elle ne puisse terminer d’ouvrir la porte de sa boutique. Oh, elle se débattit comme un beau diable, émasculant certainement un des hommes du bout de sa botte, griffant, mordant au travers du tissu, mais elle ne se changea pas en oiseau de glace pour les punir. Elle fut traînée, frappée, avant d’être embarquée dans une voiture. Direction un bateau et la France.

Au fond, elle savait que son frère allait mener l’enquête, et la retrouver. Ce qu’elle ne savait pas par contre, c’était que Charles n’était qu’un pantin dans l’affaire. Il servait de faire valoir. D’excuse pour son frère. Elle était soi-disant repartie en Europe pour entamer un tour du continent comme égérie de la marque de ce Worth. La réalité était tout autre puisqu’elle était captive des deux hommes. Elle apprit bien rapidement que l’homme maniant un feu sombre n’était en réalité qu’un phénix corrompu soucieux d’avoir un œuf. L’appât d’un phénix était donc trop tentant. Sa corruption n’était pas totale, mais cet acte odieux, et les suivant qu’il commit sur elle dans l’espoir d’avoir un œuf achevèrent de le faire noircir pour de bon. En parallèle, Charles construisait ses tenues sur elle, car elle restait sa muse.

Il lui en fallait du temps, à Akakos, pour se décider que la violence n’était plus que le seul moyen de s’en sortir. Elle avait surtout besoin de rassembler ses forces, car la corruption glissait sur elle en cherchant à s’infiltrer dans son plumage. Pernicieuse et sournoise, elle explorait sa carapace à la recherche de la moindre faille. Et la phénix en avait, des failles. Elle en avait des raisons d’en vouloir au monde entier. Mais, parce qu’elle s’en tenait au souvenir de son frère, à son amour pour lui, qui transcendait tout ce que la noirceur pouvait lui apporter, elle tint bon. Elle parvint à s’échapper de sa prison, gelant ses fers jusqu’à ce qu’ils cèdent, s’extirpa de la cave en brisant la porte. Elle consommait beaucoup d’énergie, mais qu’importe. Ces enfoirés l’avaient affamé pour qu’elle n’ait pas beaucoup de vigueur, mais elle n’en pouvait plus, elle devait tenter. Elle ne voulait pas mourir ici, pas pour que son frère vienne la chercher et risque de rencontrer ce phénix corrompu. Non, ce serait le piéger. Elle ne pouvait pas lui faire ça.

Alors elle se répétait qu’elle devait y arriver, pour lui, pour eux, pour elle. Elle se rendit dans les cuisines et avala tout ce qu’elle pouvait. Elle ne put attendre de digérer. Selon ses estimations, elle ne serait pas seule longtemps. Elle s’envola pour Londres. Le trajet n’était pas si terrible pour un phénix en bonne santé. Ce fut un calvaire pour elle, et elle termina sa course dans la mare du jardin de son frère, y tombant dedans comme une météorite glacée en train de fondre.