cnag ar an doras

Je ne sais pas où je suis. Enfin, si, je suis à la Ligue, ça... Ca je sais. Ce que je ne sais pas, par contre, c'est à quel endroit je suis dans la Ligue, ni comment rejoindre ma chambre. J'ai dû descendre à la garde-robe pour qu'on prenne mes mesures si jamais il me fallait un costume ou un habit particulier dans une mission future, et je n'arrive pas à retrouver mon chemin. J'ai bien essayé de revenir sur mes pas, mais ces couloirs se ressemblent tous, et je crois que je me suis encore plus perdu.

Epuisé -ça doit faire au moins une heure que je cherche à retrouver mon chemin dans ce dédale-, je finis par me laisser glisser le long d'un mur, à un angle de couloir. Je ramène mes genoux contre moi et commence à chantonner les comptines que ma soeur adorait, pour essayer de ne pas paniquer. Il ne faut pas que je panique, ça ne va faire qu'empirer les choses...

« Cnag ar an doras, » je commence d'une toute petite voix, avant de me taire.

Ca résonne beaucoup ici... Et je ne veux pas qu'on pense que je suis fou -je viens à peine d'entrer à la Ligue, j'ai un toit depuis moins de deux semaines, je ne veux surtout pas risquer de mettre cette sécurité en péril. Alors je reprends, en chuchotant cette fois, le visage enfoui dans mes bras croisés. Ca résonne moins comme ça, c'est mieux.

Tout en continuant de chantonner dans un murmure mouillé toutes les chansons en gaélique que ma soeur me réclamait avant de se coucher, je laisse mon esprit dériver vers tout ce qui s'est passé ces quinze derniers jours.

Dès que j'ai serré la main de l'homme, il m'a entraîné à sa suite vers le Parlement, et m'a enregistré dans tout un tas de registres, avant de me remettre une montre en cuivre peu ordinaire, puisqu'il s'agit également d'un artefact magique me permettant d'entrer dans le siège de la Ligue, d'ouvrir ma propre chambre et le casier qui m'est alloué pour ranger d'éventuels documents. Puis il m'a mené jusqu'à mon logement, et m'a apporté un repas, que j'ai englouti comme un poisson affamé avant de m'endormir -après avoir vérifié que toutes les lampes étaient électriques et éteint le brasero. Pas de feu dans ma chambre, et encore moins quand je dors.

Ensuite, il est revenu me chercher pour m'emmener auprès d'Alexan, qui a évalué mes -très, très maigres- compétences en combat, mais m'a beaucoup rassuré et apaisé. Ciara aussi me fait du bien, et malgré notre première rencontre inondée, elle se change en loutre dès que j'ai la gorge qui se serre pour venir me faire des câlins.

J'ai aussi rencontré Huck, qui m'a expliqué faire partie des aspirants Mentors, et m'a proposé de me prendre sous son aile, comme Alexan. Et j'ai accepté, parce qu'il a une présence calme et apaisante, et surtout, je peux passer du temps avec lui sans parler. Et ça me va bien, de ne pas avoir à parler tout le temps.

Avec tout ça, je n'ai pas entendu l'homme arriver avant qu'il ne me touche le bras. Ce qui me fait sursauter, et fait apparaître l'équivalent d'un seau d'eau juste au-dessus de sa tête, le trempant jusqu'aux os.

« Pardon, pardon, je ne voulais pas, je suis désolé, » je m'excuse précipitamment en levant vers lui un visage rougi par les pleurs que déclenchent toujours les comptines que je chante. « S'il vous plaît, ne me renvoyez pas dehors... »

cnag ar an doras

L'homme que je viens d'arroser, et qui ne doit pas avoir plus de trente ans si j'en crois l'air juvénile de son visage, tente de se recoiffer comme il peut après sa douche... pour le moins inattendue. Si j'avais encore la maîtrise de mes pouvoirs, j'aspirerai toute l'eau de ses vêtements pour la jeter au loin, mais... Je ne peux rien faire d'autre que le regarder d'un air suppliant en espérant qu'il ne me jettera pas dehors.

Pourtant, malgré une étincelle amusée dans son regard quand je m'excuse précipitamment, c'est une certaine tristesse qui se peint sur ses traits quand il me rassure doucement, promettant qu'il ne me renverra pas de la Ligue, avant de s'interroger sur ma présence ici -enfin, à demi-mots- et de me demander si je cherche mon chemin.

« Je... Je suis à la Ligue depuis... »

Je m'interromps le temps de compter. C'était... c'était le vingt-neuf juin, alors ça fait...

« Depuis douze jours, » je reprends en reniflant, m'essuyant le nez de ma manche pour essayer de me recomposer un visage. « Et je suis tout le temps perdu... Ces couloirs se ressemblent tous, je n'ai pas de point de repère, je voulais juste... rentrer... retourner dans ma chambre, » je continue d'une voix tremblante, luttant contre les larmes que je sens encore monter.

J'ai pourtant essayé de suivre les indications d'Alexan, mais... Soit le lion s'amuse à me donner des consignes fausses, ce dont je doute fort malgré les douches régulières qu'il prend lorsqu'il m'entraîne au combat, soit je suis incapable de me souvenir exactement de ce qu'il me dit, et prends le mauvais couloir lorsque j'essaye de rentrer chez moi.

Chez moi. C'est encore étrange de me dire qu'après l'incendie de ma maison et six mois dehors, j'ai de nouveau un endroit que je peux qualifier de « chez moi »...

Je relève le visage vers l'homme quand il m'interroge à nouveau, cette fois avec un sourire doux et réconfortant, sur la chanson que j'étais en train de fredonner lorsqu'il m'a interrompu.

« Ecossais, je suis Ecossais, je viens des Highlands, » j'explique d'une voix qui se brise un peu plus à chaque mot. « Vous... vous parlez le gaélique ? » je demande timidement.

Serait-il lui aussi originaire de ce pays qui est le mien, connaitrait-il lui aussi la beauté des lochs et des ruines de châteaux lorsque la brume se lève sur les collines, saurait-il chanter ces comptines et chansons que je me fredonne à moi-même pour m'endormir tous les soirs ? Une timide lueur d'espoir vient éclairer mes prunelles à cette pensée.

cnag ar an doras

Je prends timidement le mouchoir qu'il me tend, et m'essuie le visage avec, avant de me moucher en essayant de ne pas faire trop de bruit -l'écho dans ces couloirs est terrible, et je n'aime pas ça.

« J'ai essayé de suivre les directives d'Alexan mais... J'ai dû tourner trop tôt, ou trop tard, ou du mauvais côté, je ne sais pas... »

Je renifle et me mouche encore, avant de relever vers lui un regard brillant de reconnaissance lorsqu'il me dit qu'il va me ramener à ma chambre.

« Merci... Merci beaucoup... »

Le sujet dérive ensuite sur le gaélique, et mon interlocuteur m'explique qu'il est lui aussi originaire d'Ecosse, mais de la banlieue d'Edimbourg. Un autre expatrié en Angleterre... Je me demande pourquoi lui aussi a quitté ce pays que j'aime tant -aimais tant ? Je ne saurais vraiment le dire...

« Je ne suis allé que trois fois à Edimbourg, mais j'ai de beaux souvenirs de la ville, » je réponds d'une voix qui ne tremble presque pas.

J'esquive le sujet des Highlands, sinon je vais me remettre à pleurer, et j'ai déjà trempé les manches de ma chemise et le mouchoir de mon interlocuteur, je ne saurais pas comment les essuyer.

« Une de mes cousines s'est mariée à la cathédrale... C'était magnifique, il y avait des fleurs partout, et c'était la première fois que j'entrais dans une église aussi grande, » je continue d'une voix mélancolique. « Et c'était bien plus joli que Londres, oui... »

Bien sûr, rien ne vaut les ruines hantées des châteaux ayant appartenus aux lords écossais avant la conquête anglaise, mais je préfère me concentrer sur un endroit auquel je n'associe aucun mauvais souvenir. Il y a eu le mariage de ma cousine Liùsaidh avec un jeune lord, quand je devais avoir sept ou huit ans, puis le baptême de leur fils un an plus tard, et notre visite à la famille lorsque mon cousin germain a fêté ses dix ans.

« Je... Je veux bien, oui... Merci, » j'ajoute quand il me tend la main pour m'aider à me relever, après s'être lui-même remis debout. « Je... je m'appelle Cailean, Cailean Carmichael, » je me présente avec un sourire timide en croisant brièvement son regard. « Merci, Arthur... »

Je renifle encore un coup, mais c'est pour faire définitivement passer l'envie de pleurer cette fois. Je me sens étrangement en sécurité... Peut-être est-ce la douceur dont il fait preuve, peut-être est-ce le fait d'avoir rencontré un autre écossais, toujours est-il qu'il me met en confiance. Pas comme Alexan, ni comme Huck, mais je commence véritablement à me détendre en sa présence.

« Je suis dans la chambre dix-sept, » je murmure timidement.

J'espère vraiment qu'il saura la trouver, parce que j'en suis parfaitement incapable.

cnag ar an doras

J'apprécie beaucoup le fait qu'il parle des cathédrales écossaises en évitant ainsi le sujet des Highlands... Alors lorsque je hoche la tête pour confirmer que je trouve l'Ecosse bien plus jolie que l'Angleterre, mon regard se charge de reconnaissance. Il a l'air d'être sensible aux gens, cet écossais que je rencontre grâce à la providence au milieu d'un couloir qui est resté désert durant un temps qui m'a paru infini.

« Merci beaucoup, » je murmure lorsqu'il m'assure qu'il va m'aider à retrouver ma chambre.

Il a l'air d'avoir confiance en lui, ou en tous cas d'être sûr qu'il saura me reconduire à cette chambre qui est désormais la mienne, même si les maigres possessions que j'avais en arrivant dans celle-ci n'en font pas encore une maison pour moi. Et puis, je ne suis pas sûr d'avoir envie d'une maison... La seule que je veux, c'est celle dans laquelle j'ai grandi, et qui est partie en fumée en m'enlevant mes parents et ma soeur... Non, ne pas y penser, ne pas y penser, ne pas y penser.

Je mets une poignée de seconde à revenir à la réalité lorsqu'il me demande si je préfère passer par la cuisine pour manger quelque chose, réalisant que je lui avait emboîté le pas sans réfléchir, perdu dans mes pensées.

« Oh, je, euh, je n'ai pas mangé, mais je ne veux pas vous déranger, j'ai du pain et du fromage dans ma chambre, donc si vous n'avez pas le temps, je peux me contenter de ça sans problèmes, » je réponds d'une voix hésitante.

Après avoir passé un temps inconnu contre un mur froid, et après l'entraînement intensif auquel m'a soumis Alexan cet après-midi, je préfèrerais manger quelque chose de chaud, comme un rôti ou un ragoût, mais je comprendrais aussi que mon bienfaiteur écossais ait autre chose à faire que de s'occuper de moi.

« J'ai vu la salle d'entraînement au combat à mains nues, le réfectoire, les sanitaires de l'étage des salles d'entraînement, et ma chambre, mais rien d'autre pour le mom... Ah, si, Huck m'a montré la bibliothèque avant-hier, » je me corrige en laissant mon regard se perdre un peu dans le vide.

Je me suis senti apaisé entre les hauts rayonnages, même s'il m'a mis entre les mains un épais volume sur les différentes familles de sorciers connues de la Ligue et que j'ai découvert l'existence des nécromanciens, mais aussi des hématomanciens, ceux qui manipulent le sang.

J'en ai d'ailleurs fait des cauchemars.

cnag ar an doras

Je l'observe se recoiffer du coin de l'oeil, me mordant la lèvre d'un air gêné. Il faut vraiment que j'arrive à ne plus arroser les gens comme ça... Arthur a l'air vraiment gentil, mais un jour ou l'autre, je risque de tomber sur quelqu'un de bien moins compréhensif, et ça pourrait mal se terminer pour moi.

« Merci beaucoup, » je réponds d'une voix dans laquelle on peut sentir mon soulagement. « Je prendrai juste quelque chose à ramener dans ma chambre, si vous ne voulez pas trop traîner... »

J'ai trop peur de le déranger -j'ai toujours peur de déranger les gens avec ma fragilité, ma timidité, mon pouvoir trop instable pour mon propre bien, et cette espèce d'énorme boule de tristesse que je balade avec moi en continu.

Pourtant, ma compagnie n'a pas l'air de lui déplaire ou de l'irriter, puisqu'il me propose de prendre le thé avec lui à la bibliothèque, une prochaine fois -et même plusieurs prochaines fois.

« Je la trouve très apaisante, oui, » je réponds en hochant la tête. « Et puis, tous ces livres... C'est merveilleux, » j'ajoute d'un ton un peu rêveur.

Oh, nous avions quelques livres à la mais... au village, mais bien moins qu'ici. Et aucune grande bibliothèque contenant autant de savoir ne se trouvait dans les environs, alors j'ai lu et relu vingt fois les vingt mêmes ouvrages, jusqu'à presque les connaître par coeur.

Nous ne tardons pas à arriver au réfectoire, que nous traversons pour rejoindre les cuisines et nous servir.

« Oh, je prendrai ce qu'il y a... Le ragoût me paraît très bien, » je réponds en reniflant l'odeur du laurier qu'un commis vient de jeter dans une énorme casserole.

J'ai appris à ne pas faire le difficile depuis que je suis arrivé à Londres -dans la rue, je me considérais déjà chanceux quand j'arrivais à m'acheter quelque chose à manger.

« Vous voulez manger ici ou... ? » je demande d'une voix timide.