Cailean Carmichael ▬ what is left when all is gone ?

4 JANVIER 1901 ▬ Je regarde le paysage défiler par la vitre du train qui me conduit à Londres et m'éloigne de mon Ecosse bien-aimée, du village où je suis né et de ce qu'il reste de ma famille proche -un oncle, une tante, et trois cousins- et moins proche -le reste du village est peuplé de Rhodes, descendants directs des sorciers de l'eau ou membres par alliance. Je suis déchiré de devoir partir, mais la vue des décombres calcinées de la maison où j'ai grandi m'est insupportable. Le fantôme d'Eilidh hante jusqu'aux lochs et aux ruines des châteaux qui se dressent un peu partout dans les Highlands, et si ceux de mes parents se contente d'apparaître dans les rues du village, c'est déjà trop pour moi.

Peut-être que je reviendrai, un jour.

Mais pour le moment, je dois guérir. Autant physiquement -l'énorme bandage qui entoure mon bras gauche me rappelle douloureusement chaque seconde que je n'ai pas été capable de sauver ma soeur- que mentalement -perdre ma famille le matin de mon vingt-et-unième anniversaire a laissé une plaie béante dans mon coeur et dans mon esprit.

Alors je suis parti, après toute une vie en Ecosse, pour rejoindre la capitale britannique. En espérant que je trouverai là-bas quelque chose qui m'aidera à avancer, à me remettre du fait que j'ai perdu mes parents et ma petite soeur adorée...

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FLASHBACK ; 18 juin 1889 ▬ Les cris de douleur de maman font presque trembler les murs. Papa m'a dit plusieurs fois d'aller jouer avec mes cousins, mais j'ai refusé. Je veux rester là, même si maman me broie la main et que je dois me tenir un linge imbibé de parfum devant le nez pour ne pas avoir la nausée.

Encore un long hurlement de douleur, et c'est un autre cri qui se fait entendre, celui, fragile et tendre, d'un bébé à peine né.

« C'est une fille ! » annonce la sage-femme avec un grand sourire, en emmenant le poupon hurlant pour la nettoyer après que papa ait coupé le cordon.

Elle l'emmaillote et revient la poser dans les bras de maman, qui m'a lâché la main juste avant de me briser les doigts. Elle est minuscule... et je me promets de tout faire pour la protéger, pour qu'elle ait une enfance aussi belle et joyeuse que la mienne. Après tout, il n'y a pas meilleur endroit pour vivre qu'ici, entre les lochs et les collines, les châteaux que l'on dit hantés et les sirènes qui frôlent parfois la surface des lacs. Je lui apprendrai à se servir de son pouvoir comme ma mère m'a enseigné comment utiliser le mien, et nous pourrons jouer des tours à tous nos cousins, main dans la main...

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Je renifle, et essuie mon nez d'un revers de manche. Ce n'est pas le moment de pleurer, pas avec tous ces gens dans le wagon... Il faut que j'attende d'être seul pour ça, même si c'est dur. Même si j'ai l'impression d'être dans un cercueil trop petit que l'on écrase progressivement jusqu'à ce que j'accepte enfin d'étouffer.

Un autre souvenir.

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FLASHBACK ; 24 avril 1896 ▬ Je me lève avant l'aube, le plus silencieusement du monde, et me glisse hors de la maison telle une ombre silencieuse. Aujourd'hui, c'est l'anniversaire de la sirène dont je suis tombée amoureux, celle qui vit dans le loch derrière le château McLahan. Et je voudrais lui cueillir les plus belles fleurs de la lande, comme je le fais depuis trois ans.

Mais quand j'arrive au loch, alors que le soleil pointe au-dessus des collines, j'ai beau l'appeler, l'appeler encore, utiliser des cailloux pour troubler la surface presque trop lisse pour être réelle du lac, elle ne répond pas. Je passe la journée à l'attendre, avant de me résoudre à rentrer, l'estomac vide et le coeur en miettes.

Maman m'avait bien dit qu'elle n'était pas pour moi, mais j'ai refusé de l'écouter... Et maintenant j'ai juste envie de me rouler en boule dans mon lit et de pleurer.

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C'était une mauvaise idée d'appeler ce souvenir... Maintenant j'ai encore plus le nez qui pique et la vue qui se brouille. Vite, vite, autre chose avant que je ne me mette à sangloter au milieu de ce train bondé.

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FLASHBACK ; 2 septembre 1897 ▬ Je serre mes parents et ma soeur adorée dans mes bras avec force. Aujourd'hui, je pars pour Glasgow, où j'ai été accepté à l'université de médecine. J'ai à la fois très hâte de découvrir l'une des plus grandes villes d'Ecosse, et à la fois très peur de quitter mon petit village dans lequel j'ai passé une enfance et une adolescence si heureuses.

Bien sûr, je n'ai pas passé les dix-sept dernières années à simplement flâner dans la lande : j'ai appris à maîtriser mes pouvoirs liés à l'eau -et Dieu sait qu'en étant né si proche du solstice d'hiver, ils sont puissants-, j'ai travaillé aux champs dès que j'ai été assez solide pour tenir une bêche, et j'ai étudié avec application avec un professeur qui venait au village deux jours par semaine -même s'il n'y avait qu'une classe pour les dix-sept enfants de ma génération, il a toujours fait en sorte de s'adapter au niveau de chacun.

Et c'est grâce à lui que j'ai été admis à la faculté de Glasgow. En médecine. Parce que, bien que mes pouvoirs me permettent de soigner bleus, brûlures et contusions grâce à l'eau que je manipule, je ne sais pas recoudre une plaie ou soigner les maladies, et j'ai envie d'apprendre. Pour aider un maximum de gens autour de moi.

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Ce départ me paraît tellement différent de celui que je suis en train de vivre... Parce que je partais en sachant que la maison m'attendrait si je voulais revenir. Alors que là... Là, je pars pour toujours, je pars me reconstruire ailleurs, faire mon deuil et apprendre à vivre sans la sécurité d'un foyer qui me tendra les bras si je choisissais de changer d'avis et de faire demi-tour.

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FLASHBACK ; 25 décembre 1900 ▬ Je suis revenu quelques jours pour Noël, puisque la faculté ferme pour les fêtes. Voilà trois ans et demi que j'étudie à Glasgow, et je dois avouer qu'être étudiant me plaît beaucoup. Même si ma famille me manque atrocement et que j'essaye de rentrer souvent, je me suis fait beaucoup d'amis à l'université, que je vois lorsque nous arrivons à dégager un peu de temps sur nos heures de révisions. La médecine, c'est bien plus dur que ce que j'imaginais, mais c'est aussi passionnant et varié. Alors je m'accroche, et ça paye : je suis dans les dix meilleurs de ma promotion depuis quatre semestres.

Je me retourne dans mon lit en me disant qu'il faudrait que j'éteigne le feu de la cheminée, j'ai beaucoup trop chaud...

J'ouvre les yeux alors que les flammes commencent à passer sous la porte de ma chambre. Et saute de mon lit en un instant, paniqué.

« EILIDH ! » je hurle en m'enroulant dans une couverture avant de me jeter contre la porte pour l'ouvrir, malgré les flammes.

Le feu a envahi le couloir, qui n'est plus qu'un immense brasier. La chambre de mes parents, au bout de celui-ci, n'est pas accessible, mais j'entends les cris de détresse de ma soeur, qui a sa chambre en face de la mienne. Une première poutre tombe juste devant moi, me faisant reculer précipitamment. Mais je ne peux pas abandonner ma petite soeur, qui ne peut pas se défendre contre le feu, car elle n'a pas de pouvoirs, elle.

Mes pouvoirs !

Je me concentre un instant et commence à matérialiser de l'eau entre mes mains dans l'idée d'arroser le couloir et la porte, de pouvoir entrer dans sa chambre et la sortir de là...

Je n'en aurai jamais l'occasion.

Une deuxième poutre chute du plafond, m'assommant à moitié et me brûlant le bras gauche. Toute l'eau que j'avais appelée m'échappe alors que je hurle, chutant avec le bois calciné sur le sol. Deuxième choc quand mon crâne rencontre le parquet. Je perds connaissance.

Je me réveille, le bras bandé et un linge humide sur le front. Je ne suis pas chez moi. Ma tante est à mon chevet, les yeux rouges et gonflés, un mouchoir à la main. Je devine ce que ça veut dire avant même qu'elle ne puisse ouvrir la bouche. Je n'ai pas réussi à sauver mes parents, ni ma soeur...

Silencieusement, comme si toute la vie s'était échappée de mon corps, je me mets à pleurer. Plus rien ne sera jamais comme avant...

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Je renifle plus fort. L'enterrement était il y a cinq jours, mais je n'ai trouvé le courage de dire à ma tante que je voulais quitter le village qu'hier. Elle a rassemblé quelques pièces et des vêtements de mon cousin, un peu trop grands pour moi mais trop petits pour lui, et m'a préparé un sac, dans lequel elle a rajouté deux pains, du fromage et du poisson séché. Elle m'a donné l'adresse de l'une de ses amies à Londres, mais je ne compte pas aller la trouver.

J'ai besoin d'être seul, d'apprendre à vivre avec la culpabilité qui me ronge à chaque instant de n'avoir pas été plus rapide, de n'avoir pas pu sauver ma soeur.

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29 JUIN 1901 ▬ Je compte et recompte les quelques pièces qu'il me reste en espérant qu'une autre va apparaître pour que je puisse acheter à manger et pour moi, et pour Nick, le clochard qui m'a pris sous son aile après que j'ai passé trois nuits à trembler de froid sous un pont, lorsque je suis arrivé à Londres.

Ca fait déjà presque six mois...

Six mois loin de mon Ecosse natale, six mois seul ou presque, six mois que je vis dans la rue, six mois que je n'arrive plus à maîtriser l'eau. Au début, j'essayais de m'entraîner, de continuer à pratiquer les différents aspects de mes pouvoirs, mais rien n'y faisait. Alors j'ai laissé tomber. Ils se manifestent aléatoirement, principalement quand je suis effrayé, ce qui est dangereux pour moi -on m'a déjà poursuivi avec des fourches quand j'ai inondé une chapelle alors que le son de la cloche m'avait fait violemment sursauter- que pour les autres -j'ai déjà failli tuer un homme lorsque la masse d'eau qui est apparue soudain au-dessus de la tête alors qu'il était arrivé dans mon dos sans prévenir l'a fait glisser et chuter, sa tête heurtant violemment les pavés.

Six mois aussi depuis l'incendie... Depuis que je suis orphelin. Je suis adulte depuis trois ans, et pourtant, quand je pense à ça, j'ai l'impression d'être un petit enfant qui attend patiemment le retour de ses parents. Même si je sais parfaitement qu'ils ne reviendront pas, qu'ils sont six pieds sous terre dans un joli cimetière plein de bruyère, au milieu des Highlands.

J'ai vécu de petits boulots, j'ai été coursier, vendeur de journaux, cireur de chaussures, mais malgré ça, j'ai dû vivre sous un pont. Heureusement que Nick m'a pris sous son aile, grâce à lui je ne dors pas à l'air libre, mais dans une cabane de fortune faite de planches à moitié rongées par les vers et de couvertures miteuses. C'est bancal, peu confortable, mais au moins ça protège du vent.

Je sursaute violemment lorsqu'un énorme chien, que je n'avais pas vu, m'aboie soudain dessus.

Ce qui a pour effet d'inonder immédiatement la halle où se tient le marché.

Et merde.

Il me faut une poignée de secondes à reprendre mes esprits, parfaitement sec au milieu de tous les primeurs, poissonniers et bouchers trempés jusqu'aux os. Puis je me mets à courir, le plus vite possible, prenant à peine le temps de remettre mes quelques piécettes durement gagnées dans ma poche.

Je ne m'arrête que lorsque je suis à peu près certain que je ne suis plus suivi. Je dis à peu près, parce que l'homme qui s'approche de moi, de haute stature et avec un air à la fois prudent et calme sur le visage, je ne l'avais pas vu venir.

« C'est toi qui as noyé le marché ? » il me demande d'une voix parfaitement posée, dans laquelle je distingue même un léger intérêt.

Je hoche légèrement la tête, tendu comme un arc, prêt à déguerpir comme un animal sauvage acculé mais désespéré de rester en vie.

« Je ne suis pas là pour te faire du mal. Je fais partie d'une organisation secrète qui s'appuie sur le pouvoir de sorciers comme toi pour veiller au maintien de la paix mondiale. Est ce que tu serais intéressé pour la rejoindre ? »

J'hésite un instant. C'est la première fois que j'entends parler d'une telle organisation, alors je veux rester prudent, mais il a ensuite des mots qui ne peuvent que me convaincre :

« Tu seras payé, logé, nourri et blanchi. »

Et il me tend la main, sans doute pour que je la serre, moyen de signer une sorte de contrat tacite entre nous. La mienne se serre sur les quelques piécettes qui se trouvent dans ma poche, et je ne mets pas longtemps à les lâcher pour venir serrer sa main.

« J'accepte... »

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Cailean est en pleine découverte de la Ligue, et il cherche un mentor pour le prendre sous son aile. Il retourne régulièrement voir Nick, à qui il donne de la nourriture chipée à la Ligue -le clochard l'a aidé à rester en vie, il peut au moins faire ça pour lui.