Bonne chasse est celle qui remplit le ventre - Darcy

L'automne étirait ses ombres sur la forêt en ce 15 octobre 1901. Les odeurs commençaient à être plus humides, plus présentes, plus avenantes. Tomoe adorait cette senteur toute particulière, celle des champignons qui tapissaient le sous-bois, cette odeur qui donnait presque un goût à l'air, et qui faisait paraître dans l'imaginaire un bout de bois humide, qu'une simple pression des doigts pouvait réduire en charpie.
Ici, en Angleterre, c'était encore différent de là bas, au Japon.  Les arbres arboraient leurs plus belles couleurs de feu, mais aucun de ces arbres européens ne pourraient rivaliser avec les érables Japonais. Aucun. Elle avait une petite lueur de nostalgie dans le tréfonds de son âme, ais cela ne l'empêchait pas de trouver son compte en arpentant le sous-bois et d'apprécier ce genre de sorties en pleine nature, même ici, en Angleterre.

Surtout sous sa forme de renard !

Elle courrait tranquillement, slalomant entre les racines, se faufilant entre des petits entrelacs d'herbe et d'écorce, glissant entre des roches et des troncs. Son pelage blanc n'était pas très discret dans le sous-bois, mais elle ne s'inquiétait de rien, peut-être un peu naïvement.
Tomoe agitait ses sept queues, la truffe à ras du sol alors qu'elle était sur la piste d'un faisan. Ce dernier constituerait son repas de midi, avant qu'elle ne se trouve une petite clairière paisible où se laisser aller sous les rayons pâles du soleil qui perçait un peu en cette belle journée de début de saison. Elle regrettait presque l'absence d'Alexan, son ami à la Ligue, qui aimait lui aussi chasser sous sa forme animale. Il était bien plus imposant qu'elle cela dit, en tant que roi des animaux.

Elle ne s'autorisait pas souvent ce genre de petite sortie, mais parfois, elle avait ce besoin de communier avec l'esprit qui résidait en elle, un peu comme si elle l'autorisait à aller se dégourdir les pattes.

Le faisan n'était pas loin. Dans ce genre de moment, l'excitation un peu primitive de son esprit se focalisait sur sa proie. Elle ne résistait pas à l'appel de la volaille, et elle fila à toute vitesse sur un petit sentier forestier, débouchant dans un large près où les herbes formaient un tapis soyeux où courir. Son nez capta l'odeur de l'animal qui avait senti son approche et qui puait la peur. Il essayait bien de s'échapper, mais Tomoe l'avait en ligne de vue, ou plutôt de nez car elle estimait sa distance avec son odorat et ses moutaches, quand soudainement, un coup de fusil lui enleva sa proie juste devant elle.

Surprise, elle freina des quatre fers, prenant soudainement conscience de son environnement alors qu'elle s'était focalisée sur sa proie. Comment n'avait-elle pas senti les chevaux, les hommes, et les chiens ? Une question qu'elle allait se poser pendant un moment alors que la chasse prenait un nouveau tournant et qu'elle devenait désormais... la proie.

Hors de question de redevenir humaine devant ces gens qu'elle ne connaissait pas. Non seulement c'était interdit par la Ligue, mais qui plus est, ses vêtements étaient soigneusement pliés dans un petit recoin sec de la forêt, et elle ne tenait pas à se montrer entièrement nue au beau milieu des bois ou de ce près. Ces hommes risquaient de la prendre pour une sauvage (surtout qu'elle n'était pas anglaise) et l'Empereur seul savait ce qu'ils pourraient lui faire.

Alors, elle ne demanda pas son reste, et elle fila. Dans son dos, la poursuite de ce renard bizarre se lança.

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Les cavaliers, Tomoe estimait qu'elle pouvait les gérer en fonçant dans le sous-bois ou en générant des illusions si besoin était. Restait les chiens. Les chiens ne l'aimaient pas, même sous sa forme humaine. Ils devaient sentir le renard en elle. A chaque fois qu'elle en croisait un, elle n'avait le droit qu'à une manifestation d'animosité pleine et entière, composée d'aboiement et de crocs sortis. Elle ne pouvait pas s'en sortir en jouant de ses illusions, puisque les chiens y seraient totalement hermétiques eux, fidèles à leur odorat. Elle allait devoir les semer par la force des pattes. Heureusement, le sous-bois regorgeait d'odeurs en tout genre qui permettaient aussi de la masquer, mais elle n'y croyait pas trop.

Et puis, il y avait un autre point important qui lui taraudait l'esprit : May. Sa fidèle petite renarde rousse qu'elle avait récupéré dans la campagne britannique après avoir tué la chamane qui l'avait condamnée à vivre pour toujours dans son corps métamorphosé. Où était-elle passée ? Elle la savait pleines de ressources, mais elle était inquiète quand même. Depuis qu'elle s'était lancée sur la piste du faisan, elle n'avait plus tellement fait attention à elle.

Tomoe stoppa sa course. Personne derrière elle, les chiens s'égayaient plus à l'est. Elle se posa sur son petit fessier poilu, et huma le vent de sa petite truffe noire humide, à la recherche de l'odeur de May. Elle la localisa dans le vent du côté des haies et du près où les chasseurs se trouvaient. Elle fila dans cette direction, cavalant ventre à terre. S'ils tuaient May... Elle préférait ne pas songer à ce qu'elle ferait. Ce serait un accident malheureux, elle devait s'en tenir à ça et ne pas entrer dans une colère froide.

Le jappement des chiens se faisaient entendre dans le lointain. Ils étaient sur les traces d'un gibier, cela ne faisait pas de doute. Leur excitation était palpable dans l'atmosphère. La renarde blanche et ses sept queues fila le long de la haie, avant de bifurquer le long de la lisière du sous-bois. Elle suivait l'odeur de May et elle la vit plus loin, poursuivie par deux chiens. La petite renarde allait se faire coincer !

Tout se passa très vite. L'homme qui était tombé de son canasson en sautant la haie vit la renarde rousse coursée par les chiens. Soucieux de redorer son image que les autres écornaient en se moquant de lui, il arma son fusil en se redressant et ajusta en suivant la course des chiens. Dans le même temps, la renarde blanche percuta un des traqueurs à quatre pattes, en arrivant sur son flanc. Elle rattrapa rapidement son équilibre et fonça vers May. Plus consciente de son environnement que jamais, ses queues soyeuses s'agitaient avec panache. Elle était en train d'utiliser son pouvoir pour chambouler l'esprit du tireur en lui faisant voir au moins six ou sept renards. Avec un peu de chance, il viserait le mauvais.

Et ce fut le cas ! Le premier coup de feu toucha le deuxième chien qui couina en s'effondrant. Tomoe referma sa mâchoire sur le cou de May et l’entraîna vers le sous-bois. Elle avisa l'humain qui tenait son cheval par la bride, mais elle ne pouvait pas changer de direction trop rapidement avec le poids mort qu'elle transportait tant bien que mal. La mort la suivait cependant, car une deuxième balle marqua l'arbre à quelques encablures de Darcy,  arrachant l'écorce avec une force extraordinaire.

Soucieuse que cet humain n'intervienne pas, Tomoe se focalisa sur lui et lui projeta une illusion mentale. Ce n'était plus un renard blanc à sept queues qui transportait un renard roux qui venait vers lui, mais une jeune femme, une nymphe des bois belle comme une rose, qui lui souriait tendrement. L'illusion se dissipa sur le troisième coup de feu qui toucha la renarde alors qu'elle avait dépassé l'homme sur la gauche pour essayer de rejoindre un petit ravin qui descendait vers un cours d'eau dans le sous-bois, pour se mettre à l'abri. Cette dernière lâcha May en couinant avant de se laisser glisser sur le flanc jusqu'au cours d'eau. Sur les derniers mètres, elle redevint humaine sans trop contrôler ce qui se passait, prise par la douleur du tir qui avait touché son épaule. Elle tomba dans l'eau froide qui l'emporta dans son courant.

La haut, les autres chasseurs étaient en train de réprimander leur collègue qui avait tué un des chiens, et forcément, ce n'était pas le sien.

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May, la petite renarde rousse, avait suivi l'homme qui dévalait la pente. Etait-il à l'origine du coup de feu sur son amie ? Elle n'en savait strictement rien, mais c'était sans doute la seule chance de Tomoe de sortir de ce ruisseau. Elle était bien trop petite pour tenter quoique ce soit, et elle avait peur de se noyer dans le peu d'eau en voulant sortir la nippone du courant. Aussi dévalait-elle la pente dans le sillage de cet humain qui humait le canasson. S'il avait de mauvaises intentions, elle pourrait toujours essayer de le mordre pour tirer son amie d'une mauvaise situation, une fois qu'elle serait sortie de l'eau.

Sur le bord du ruisseau, May regardait l'homme patauger pour faire barrage de ses jambes dans l'eau. Elle avait envie de japper, de glapir, pour s'enquérir de son état. Jamais elle ne s'était sentie aussi emprisonnée dans son corps de renarde. Pour la première fois depuis longtemps, elle avait le désir de redevenir une humaine, la femme qu'elle était, ne serait-ce que pour avoir des moyens supplémentaires pour aider son amie.

Mais cet homme se pencha et releva la japonaise détrempée, et blessée par une vilaine plaie à l'épaule, de ce qu'elle pouvait en juger là tout de suite.

Etait-ce qu'on la touche, son instinct de survie, le contact de l'eau froide qui avait commencé à la tirer de sa torpeur, mais Tomoe ouvrit ses deux yeux d'un seul coup. Le monde reprit consistance, la douleur s'imprégna dans ses tissus et alarma son cerveau, de même que la sensation de coup de poing qu'elle avait senti avant de perdre connaissance quand la balle l'avait touchée. Le froid la cisailla, mais plus encore que tout le reste, la peur lui sauta à la figure aussi sûrement que ce visage au-dessus d'elle.

Alors, elle rua d'un coup, usant de sa souplesse de femme combinée à celle de son espèce pour se défaire de ces bras qui la portait. Elle retomba durement dans l'eau mais elle ne s'en soucia pas tellement, car déjà debout sur ce fond glissant, elle frappa l'homme au ventre d'un coup de poing parfaitement maîtrisé, l'axe de ses hanches s'alignant avec son corps dans une technique martiale répétée des millions de fois, pour frapper non pas qu'avec la force de son épaule, mais avec la force de son corps entier... L'impact se répercuta dans son corps entier, jusqu'à venir chercher cette blessure dans son dos, et la faire vaciller de douleur, d'une douleur qui brisa le cri qu'elle avait produit en frappant, le transformant en plainte.

Qui plus est, le fond du cours d'eau étant parcheminé d'algue, son appui n'était pas optimal, alors elle glissa à moitié sur l'homme qu'elle venait de frapper, s'y rattrapant avec poigne, lui provoquant de nouveau élancement douloureux dans tout le dos. Elle se détacha rapidement pour reculer, pantelante, en barrant de son bras sa poitrine dardée du froid et du stress alors que sa main venait comprimer cette plaie qu'elle sentait un peu au dessous de l'os qui reliait son épaule à son omoplate. Sous ses doigts glacés, le sang avait une douce chaleur qui n'était pas si réconfortante que ça.

« Je ne suis pas une de ses proies que vous chassez !! » glapit-elle en reculant encore un peu dans le ruisseau dont le fond inégal lui mordait les pieds, sans que cela ne l'atteigne pour le moment. Elle les avait durs, vestige de ses entraînements pieds nus dans son arrière cour de son salon de thé.

Trempée, elle n'était pas frigorifiée, mais pas loin, ses longs cheveux plaqués sur sa peau colorée, mais blême. Elle tremblait comme une feuille mais son regard avait tout de déterminé. Elle était prête à se défendre de nouveau si besoin était et elle ajouta : « Je sais que les apparences jouent contre moi mais je suis londonienne, vous n'avez pas le droit de me traiter autrement ! »

May, de son côté, jappait de façon sporadique et agressive sur le bord du ruisseau, pour manifester son soutien.

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En voyant l'homme se relever alors qu'elle l'avait fait tomber dans l'eau, Tomoe restait sur ses gardes. En temps normal, elle aurait eu de la compassion pour ce jeune homme parti à la baille, mais là tout de suite, elle se sentait vulnérable. Alors, elle montrait les dents pour sauvegarder sa propre dignité balayée par le contexte et sa tenue. Si elle pouvait au moins se préserver d'une agression ou d'un viol pour ne pas ajouter ça à cette situation humiliante, elle prenait très volontiers, ce qui était somme toute, assez normal.

Elle resta silencieuse alors qu'il affirmait qu'il essayait de l'aider. Sa mémoire était confuse. C'était l'homme qu'elle avait vu dans sa course alors qu'elle fuyait les tirs. Elle se souvenait l'avoir touché avec une illusion pour qu'il ne tente pas sa chance à la tirer comme du gibier lui aussi, et puis plus rien. Manifestement, elle avait glissé jusqu'à l'eau en reprenant sa forme humaine avant qu'il ne la repêche. Peu a peu, les pièces se remettaient en place, chassant sa confusion au fur et à mesure.
Cependant, May l'agaçait à japper et glapir. Cela lui tapait sur le système et mettait à mal son calme habituellement olympien.

« May, arrête ! » dit-elle comme un coup de sabre en tournant ses yeux vers le renard roux qui baissa les oreilles et qui arrêta de glapir. La nippone reporta son attention sur l'homme. Que pouvait-elle répondre de crédible ? Sérieusement, elle ne trouvait rien à dire de valable qui ne la ferait pas passer pour une exotique excentrique et complètement fêlée.
« Je... »

Que répondre ?! Elle ne pouvait pas lui dire de but en blanc qu'elle était un renard blanc à sept queues et qu'elle avait cédé à l'appel de la nature aujourd'hui. S'il n'avait pas fait le lien, elle ne devait pas le faire pour lui. Elle devait protéger le secret des créatures magiques coûte que coûte, quitte à passer pour une... folle ? Cela lui en coûtait beaucoup, elle qui basait sa conduite sur un code d'honneur.

« J'essayais d'éviter les chasseurs. »

Voilà. Ce n'était pas une pirouette très bien amenée surtout qu'elle n'écartait aucunement la possibilité qu'il s'imagine qu'elle était ce renard, mais s'il le faisait, cela ne démontrait-il pas qu'il était au fait des créatures magiques ? Parce qu'un esprit humain normal refuserait en bloc cette possibilité. Enfin, pensait-elle.

Le froid se rappelait à elle, tandis que l'homme essorait sa veste. Elle s'en voulait un peu maintenant, de l'avoir poussé à l'eau, pour ne pas dire frappé. Cependant, avant qu'elle ne puisse exprimer un quelconque remord verbal, des bruits dans les feuilles l'informèrent de l'arrivée de quelqu'un, quelqu'un qui se manifesta oralement.
Elle se tourna d'instinct vers cette nouvelle menace à peine voilée. Ce ton, ces propos, cet air lubrique, rien ne lui échappa. Lui, songea-t-elle, ne se soucierait pas de son consentement.

Qu'il essaie, et elle ne se soucierait pas de son consentement elle non plus. Elle lui prendrait la vie même s'il voulait la vivre jusqu'au bout. Elle s'en fit le serment, et Tomoe ne plaisantait jamais avec sa parole, qu'elle se la donne ou qu'elle la donne.
Elle vit l'homme qui était remonté sur la rive lui envoyer son manteau. Elle le réceptionna de sa main libre, avant de reculer de quelques pas pour monter sur la rive de la rivière, mais de l'autre côté, mettant l'eau entre elle et eux. Déjà, celui qui l'avait tiré de là et qu'elle avait injustement frappé, s'approchait du jeune.

Elle avait plaqué le vêtement trempé contre elle assez rapidement, déjà pour se masquer en parti, mais aussi parce que chargé d'eau comme ça, il pesait assez lourd pour un seul de ses bras. Elle le déplia et l'enfila en se tournant. Elle entendit le jeune homme s'arrêter.

« Pourquoi la couvrez-vous donc ? Une femme qui se promène en forêt toute nue ne demande qu'à se qu'on puisse s'occuper d'elle. » fit-il constater.

Tomoe s'était enroulée dans le manteau glacé. Enfiler les manches trempées avait été particulièrement désagréable, et elle n'était pas certaine d'avoir plus chaud, bien au contraire. Sa blessure à l'épaule lui avait tiré quelques grognements étouffés d'être malmenée de la sorte, mais elle en avait connue d'autre, son corps marqué pouvait en attester.

« Je ne demande qu'à rentrer chez moi, voilà tout. » fit-elle depuis l'autre rive. Le regard de la jeune femme s'orienta sur May qui s'était hérissée une nouvelle fois, mais qui restait à distance prudente.
« Assurément madame, je vais vous ramener chez vous. » Il se tourna vers Darcy et murmura. « Avez-vous votre arme ? »

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Si l'homme qui venait d'arriver affirmait, assurément, qu'il allait la reconduire chez elle, elle doutait, tout aussi assurément, que ce soit bel et bien le cas. Là tout de suite, Tomoe aurait parié sa chemise - qu'elle n'avait pas - sur l'homme dans les bras duquel elle s'était réveillée, plutôt que dans l'aspect mauvais du second qui venait de se présenter à eux. Sa situation n'était pas enviable. Les autres chasseurs pouvaient arriver à tout moment et la trouver là dans cette position délicate et fâcheuse... L'effet de groupe allait les rendre agressifs comme leurs chiens enragés par le sang et l'odeur du gibier. Un homme, elle pensait pouvoir le gérer, deux également, plus, ça allait devenir compliqué, mais pas impossible. De toute façon, Tomoe était le genre de personne très calme, posée, et réfléchie, mais qui, quand elle lâchait la bonde à sa colère, était un véritable tsunami asiatique, dévastateur et impartial.

La réponse de l'homme qu'elle avait mis dans la rivière lui apporta de l'eau à son moulin. L'autre avait donc dû lui demander s'il avait une arme, et vu la teneur des propos de cette réponse, nul doute qu'il voulait savoir si, Darcy donc, avait de quoi la contraindre par la force. Le ton était donné.

La renarde fut quand même satisfaite, et maintenant un peu honteuse même si la peur et la colère primaient toujours sur son état de conscience, de voir que l'autre homme ne comptait pas le laisser faire en toute impunité, en détournant simplement le regard et en allant cueillir des champignons.
C'était une preuve de courage admirable, car beaucoup ne prenait plus la peine de s'impliquer dans une affaire qui pourrait leur apporter quelques déboires physiques, pour ne pas dire pire. Surtout dans ce pays. Ces nobles qui se donnaient des airs en clamant au duel haut et fort mais qui n'en disputeraient jamais un de leur vie... Dans son pays, cela se réglerait autrement !

Ce Justin ne semblait pas comprendre et contourna le rempart humain pour s'approcher du rempart naturel, à savoir la rivière. Tomoe était impassible, dans ce manteau trempé. Elle n'avait plus froid. Elle n'avait plus peur. Elle était cette rivière qui laissait son flot emporter ses émotions pour la laisser calme, mais prête à se soulever pour tout ravager sur son passage. Centrée sur le moment présent, ses narines se dilataient dans un rythme lent, à l'image de sa respiration posée. Son corps était détendu, et tendu à la fois vers l'agression qui se profilait.

Un homme. Un seul homme. Elle ne lui laisserait aucune chance de salir son honneur.

Elle avait conscience que c'était de sa faute, qu'elle était nue, désirable pour ce manant, qu'elle s'exposait à la vue de ces hommes et que ça ne pouvait susciter chez eux que du désir. Elle en avait conscience, parce que c'était dans sa culture. Ce qui vous arrivez était forcément de votre faute. Néanmoins, et parce qu'elle faisait partie d'une caste de guerriers, elle ne se laisserait pas faire. Si elle perdait et qu'il la violait, alors tant pis pour elle. Elle aurait perdu, perdu le droit d'être honorable et intègre, perdu le droit de vivre. Si elle gagnait, elle aurait tout le loisir de s'excuser auprès de ces deux hommes d'avoir pu tenter, au moins pour l'un, leur désir luxurieux.

Ainsi raisonnait-elle du haut de sa culture japonaise.

Dans le même temps que Darcy se retournait vers cet homme, Tomoe lançait :

« Monsieur, si vous essayez de franchir cette rivière pour me faire du mal, je serai obligée de vous tuer. »

Et ce petit bout de femme, d'un bon mètre soixante treize quand même, ce qui était honorable pour quelqu'un de son pays, plantée là nus pieds dans ce manteau trop grand et trop mouillé, affichait une mine parfaitement neutre qui ne venait pas démentir ses propos. Si elle n'était pas impressionnante là tout de suite, contrairement à la Tomoe Gozen des légendes dans son armure d'or qui menait les troupes de son mari sur le champ de bataille, elle n'en demeurait pas moins la même personne, avec presque sept cent ans de nouvelles expériences en prime.

« Allons Darcy, vous n’abîmerez aucun visage, retournez donc vaquer à vos points de coutures si le cœur vous manque d'être un homme, quant à vous madame, je viens vous aider, c'est un honneur que je vous fais, cela serait malvenu de tenter de me tuer. »

Déjà, Tomoe se baissait pour ramasser un galet rond de la taille de sa main tout en ne quittant pas des yeux les deux hommes.

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