Discussion autour d'un verre | Ft. Jonathan

L'invitation était singulière, mais pour rien au monde Jon n'aurait manqué ce rendez-vous qui lui permettait, une fois n'était pas coutume, de quitter les locaux de ligue et de voir le monde extérieur dans un cadre autre que celui d'une mission.

Bien évidement, et ce malgré le succès de sa mission auprès du capitaine Nemo, il demeurait sous surveillance permanente d'au moins un membre de l'organisation. Il n'avait pas non plus été autorisé à emporter avec lui le moindre exemplaire de sa formule.

Pour le Chaperonnage, il avait été prévu qu'un homme de la ligue le conduise jusqu'à Arthur Conan Doyle. A sa charge ensuite de veiller à ce que le gamin ne fasse pas de bêtise, puisque c'était lui après tout qui avait demandé sa présence.

Quant à la capacité de la ligue à vraiment pouvoir empêcher Jon d'avoir accès à tout ce qui pourrait être dangereux entre ses mains... Le scientifique était pleinement satisfait de les laisser ainsi à leurs illusions.

Le lieu du rendez-vous était cependant bien loin du cadre sécurisant d'un classieux salon de thé sur Piccadilly. Pour l'occasion, Jon avait alors troqué son costume oxfordien d'universitaire pour une tenue plus en accord avec les docks. Pantalon d'ouvrier, chemise lâche, veste chaude et casquette "gavroche" sur la tête. N'ayant pas le droit d'avoir accès à ses mixtures, il n'était pas non plus flanqué de son éternelle valise, ce qui le faisait presque se sentir tout nu, tant il s'était habitué à son poids au bout de son bras lors de ses déplacements.

Arrivant directement en calèche, il arriva bientôt en vue des docks où Arthur l'attendait comme convenu. Le membre de la ligue qui l'accompagnait jusque là, il ne le connaissait pas et n'avait aucune envie de connaître.

Arrivé sur les lieux, son chaperon se contenta de lui laisser pour ultime recommandation de se tenir à carreaux. Le Dr Clark se contenta de lui adresser un doigt d'honneur avant de descendre rejoindre son compagnon de la soirée.

Visiblement plus heureux de le voir que son précédent chaperon, son visage s'illumina alors pour le saluer.


" Bonsoir mon rayon de soleil ! Soyez sans crainte, grâce à vous, je me porte à merveille ! J'espérais bien vous inviter moi-même, ne serait-ce que pour alléger ma dette !"

S'étant assuré que la calèche l'ayant emmené se soit définitivement éloignée, l'homme enfant reprend alors, visiblement plus détendu.

"Je compte également sur vous, pour ne pas être aussi à cheval sur les ordres que vos collègues censés me chaperonner. Quel est l'endroit le plus alcoolisé et le plus immoral de ce dock pour deux gentlemen tels que nous ? "

Visiblement Sir Doyle avait déjà choisi leur futur lieu de perdition. Jon se demandait tout de même quel genre d’établissement serait apte à le servir sans réellement lui poser de questions… Rien que pour ça, il était curieux de suivre son acolyte à travers les ruelles glauques du vieux port longeant la Tamise.

" Inutile de vous inquiéter pour moi Arthur ! De toute manière, s’il m’arrive quelque chose, je sais que vous êtes là pour me ranimer ! "

Quand on s’amusait à attaquer en premier, il fallait s’attendre à ce que l’on réponde. Si tel était la volonté d’Arthur, il risquait alors de l’apprendre à ses dépens…

Celui-ci l’emmena dans un bouge qui lui était parfaitement inconnu et qu’il oublierait certainement tout autant lorsqu’il en sera ressorti. L’homme enfant releva bien l’absence de politesse de son vis-à-vis pour lui tenir la porte, mais il jugea inutile de relever ce comportement qui lui semblait de bonne guerre.

L’écrivain avait beau défendre la « moralité » du lieu, cet estaminet avait toutes les qualités requises pour prétendre au titre de « repaire secret de Jack l’Éventreur ».

L’endroit n’en demeurait pas moins joyeux… Et pour Jon, cette nouvelle aventure hors des murs de sa prison avait tout de l’expérience sociale, ce qui l’amusait profondément.

Des trognes d’échappés d’usine et de dockers s’élevaient volontiers les rires de détentes après une dure journée de labeur.
Ici, l’ivrognerie ouvrière venait à la rencontre de la prostitution crasse, permettant aux hommes de dépenser leur salaire du jour dans les bras, ou plutôt entre les cuisses, de celles qui commençaient leur nuit.

Tout ce transfert d’argent et de sueur de la populace se répétait ainsi chaque jour dans un cycle sans fin, témoignant glorieusement pour l’Angleterre d’une révolution industrielle réussie !

Doyle finit par lui demander ce qu’il prenait à boire, le jeune homme s’adressa alors au barman avec aplomb.

" Un whisky s’il vous plaît. "

Hilarité générale… Doyle s’était peut-être montré un poil optimiste quant aux possibilités pour l’homme-enfant de s’enivrer ce soir. Ce que ne manqua pas d’ailleurs de confirmer le barman, encore amusé, en s’adressant au jeune homme dont la tête dépassait à peine du comptoir avant qu’il ne parvienne à s’asseoir sur un tabouret.

" Dis donc morveux ! Le jardin d’enfants, c’est pas ici ! "

Jon ne manquait cependant pas de ressource et encore moins de répondant. Ne se laissant pas démonter par l’homme derrière le bar qui ne le prenait pas du tout au sérieux, son regard se noircit et il répondit, tranchant.

" Si ces fils de porcs de bourgeois me trouvent assez vieux pour crever dans leurs usines ! Alors j’suis assez vieux pour profiter un peu d’mon fric aussi !

Tu crois qu’il était où et dans quel état d’ailleurs mon paternel quand il m’a conçu ? "

Ne s’attendant pas à une telle réponse, le barman bien loin de s’offusquer eut un nouveau rire gras, avant de claquer sans ménagement deux verres et une bouteille sur le comptoir


" Okay, bien vu Gueule d’Ange !  Mais faudra pas venir te plaindre si tu craches tes tripes… Et t’auras la gentillesse de le faire dehors au passage !"

" Cause pas tant et verse ! "

Nouveau rire du barman qui servit leur boisson aux deux hommes avant de s’éclipser.

Faisant glisser son verre à son vis-à-vis, Jon afficha un sourire en coin avant de mettre directement les pieds dans le plat tout en portant un toast.

" Alors ! Le but est-il de faire connaissance ou bien de m’enivrer pour me faire parler ?" Dit-il en sous-entendant qu'il distinguait parfaitement la nuance et les intentions diamétralement différentes qui se cachaient entre les deux termes.

La réponse d’ @arthur conan doyle décrocha un nouveau sourire au docteur qui ne pouvait qu’apprécier le compliment qui lui était indirectement adressé. Ainsi il l’estimait digne d’intérêt ? Amusant…

Dans les informations qu’il lui livrait, l’écrivain lui faisait comprendre qu’il était effectivement capable d’enivrer et de manipuler les gens pour obtenir ce qu’il désirait. Le fait de l’avouer directement était-il une manière d’endormir sa méfiance ? Allait-il malgré tout tenter de le faire avec lui ?

Mais surtout qu’est-ce qui éveillait tant cette curiosité chez lui ? Ou que comptait-il en faire ?

Jon était pour le moins impatient de le découvrir et c’est en lui adressant un nouveau sourire complice qu’il vida son verre d’un trait pour en demander un autre. Sans pour autant préciser son degré de résistance à l’alcool.

" Lorsque l’on n’a pas les capacités de certains de nos collègues, il faut bien compenser avec d’autres armes. Je vous suis entièrement sur cette logique.

Mais j’avoue que j’ai également envie de faire votre connaissance. De manière un peu plus « normale » dirons-nous ! "

Il se rapproche alors un peu afin de permettre à leur conversation de se faire un peu plus confidentielle et surtout éloignée des oreilles indiscrètes.

Cela tombait bien, Arthur abordait justement une question qui ne devait très certainement pas s’ébruiter dans ce genre de lieu transpirant la testostérone et la virilité mal placée.

C’était donc ça la question qui le préoccupait ? Jon lui était déjà passé à autre chose… Mais le fait que son vis-à-vis ait bloqué sur ce point révélait des choses intéressantes également.

Son expression se fit alors bien plus pragmatique afin de répondre, comme si tous deux partageaient un secret. Pourtant il était clair que l’homme enfant voulait rester un peu joueur malgré le caractère neutre du ton qu’il employait.

" Parce que je le pouvais, tout simplement ! "

Esquissant un léger rire, il reprit alors en observant son verre, face au bar.

" Allez savoir…

L’envie de faire une mauvaise blague en réparation des erreurs commises pendant la mission ?

Ou bien suis-je d’un tempérament « libre » et ai-je cédé à une envie sous le coup du choc et de la joie de me réveiller vivant, car vous me plaisez ?

Malheureusement je ne pouvais pas le faire sous ma forme adulte pour rester politiquement correct... Vous avez trouvé cela si désagréable ? "

Plaisantait-il ? Sir Doyle devait très certainement l’espérer en ce moment même. Du moins il était clair que Jon Clark aimait à semer le doute sur ses pensées et sa personnalité autant qu’il pouvait changer d’apparence et d’identité.

Il reprit alors une gorgée de scotch en signe de ponctuation, avant de se tourner à nouveau vers son vis-à-vis pour lui dire un peu plus sincèrement cette fois.

« Quoi qu’il en soit, je suis désolé que vous vous soyez torturé l’esprit sur cet épisode. Notre bonne société victorienne n’apprécie guère de toute manière que soient débattus les sujets de ce genre.

Vous inviter pour nos consommations et un moment agréable à faire connaissance apaiserait-il votre esprit ? »

Vu le sous-entendu qu’il venait de faire sur sa sexualité et son attirance possible pour le bel écrivain, il était clair que non… Mais c’était bien là tout le côté amusant de la chose.