Leçon de tir en bonne compagnie (Huck)

Je suis resté une éternité debout à relire la lettre de convocation et de potentielle assignation d'un nouveau pupille. Au bout de je ne sais combien de temps, j'ai été contraint de m'appuyer contre le mur, parce que mes jambes ne me tenaient presque plus.
Calloway. On veut m'affecter à Nathaniel Calloway. Au cousin de feu Mathias Calloway. Le protégé de Bram qui me martyrisait sous son nez. Limite avec son assentiment. Pendant qu'il me lançait sort sur sort avec son sang vicié, mon "meilleur ami" en appelait toujours plus à mon indulgence. En minimisant toujours plus les actions du sorcier. Certes, il était jeune, certes, il était perdu, je peux éventuellement le comprendre, le pardonner, difficilement, mais passe encore, par contre, Bram qui n'agissait pas…
Mauvais souvenirs.
Putain de bordel de merde de putes à queue, j'ai PEUR. Je ne veux pas me frotter à un autre membre de cette famille. Je ne veux plus jamais avoir à faire à eux de près ou de loin.
Mais je n'ai aucune raison valable aux yeux de la Ligue de refuser cette rencontre.
C'est donc avec une sensation à mi-chemin entre la terreur et la panique accrochée aux tripes que je me résous à gagner la salle d'entraînement au tir.
Où je ne vais quasiment jamais.
Il est déjà là. Je pose un regard empli de doutes sur lui. Acquiesce vaguement pour confirmer que je me souviens de notre brève et chaotique rencontre.

-Oui.

Je baisse les yeux sur sa main tendue. Je n'ai pas envie de la serrer. Je n'ai pas envie de… en fait, ce serait presque comme abonder dans le sens de Mathias et des misères qu'il me faisait subir. Abonder dans son sens et, et, et, confirmer que je méritais tout cela et…
Ok, respire Huck. Il… il n'est peut être pas si pire. Probablement. Ou si cela se trouve, il est encore plus infâme.
Je lui rends une poignée de main brève et fuyante, m'efforçant de chasser les souvenirs gênants de mon esprit. Comment il a dit qu'il s'appelait déjà ? Nathaniel ?

-Oui. Au moins vous apprendre à vous débrouiller avec et éviter que vous vous tuiez par accident.

Respire. Chasse le brouillard de ta tête et concentre toi. Une leçon. Juste une leçon. Comme quand tu enseignes quelque chose à Cailean. Après on verra.
Au moins, je ne risque pas de prendre une douche accidentelle. Même si je trouve ça tristement touchant quand le petit m'arrose.

-Alors, qu'est ce que vous pouvez me dire sur les armes à feu ? Vous avez quelques connaissances basiques déjà ou pas du tout ? Il faut que je sache un peu à quoi m'attendre.

Oh, wow. C'est… moi qui suis aussi distant ? Presque froid ? C'est tellement pas… ma façon d'être… peut être que je devrais mettre les choses à plat mais… mais je ne vais pas aborder cela comme ça ? Je ne vais pas d'emblée lui dire "j'ai connu votre cousin Mathias, c'était un vrai connard avec moi, probablement qu'il était brisé quelque part mais moi en attendant j'ai vécu l'enfer auprès de lui !" non ?
Je cherche à croiser le regard de Calloway mais je suis incapable de le soutenir plus d'un demi centième de seconde. Trop bleu, trop similaire à celui de… l'autre.

Oui, mourir jeune, c'est assez embêtant. Et j'espère bien que ça ne m'arrivera pas et que Hennessy acceptera toujours de me transformer. Ou plutôt, qu'il ne reviendra pas sur sa décision. Et surtout, que les loups ne souffrent pas du paludisme.
Je ne rebondis pas oralement sur sa réplique, au lieu de cela, j'attaque directement la leçon. Je ne veux pas trainer ici avec lui trop longtemps. Je ne veux pas risquer de me retrouver dans une situation aussi désagréable -bel euphémisme- que quand Mathias me tourmentait.
Je repousse donc encore une fois les souvenirs et mon amertume, soupire légèrement et essaie de me convaincre que je suis face à Cailean. Ou Sasha. Sauf que Sasha sait tirer et se débrouille très correctement.
Je hausse les sourcils.

-Ah, oui… connaissances et compétences zéro… je constate sans jugement. On n'utilise plus vraiment de poudre, hormis lorsque l'on fabrique des munitions. En fait…

Je m'empare du pistolet le plus léger du lot et des cartouches correspondantes. Je lui en tends une.

-La poudre est contenue dans la douille, qui est bouchée par la balle -que vous voyez dépasser ici. Lorsque l'on tire, l'appui sur la détente, enclenche le percuteur, qui vient percuter le cul de la douille, ce qui déclenche la mise à feu de la poudre. L'explosion projette alors la balle à travers le canon.

Je charge l'arme sans plus attendre et la pose à plat sur ma main, pointée vers le mur.

-Ça, c'est la poignée. Ce qu'on tient dans la main. Je pense que vous vous en doutiez.

L'ombre d'un sourire se dessine sur mes lèvres. Je continue mon cours en lui désignant chacun des éléments au fur et à mesure que je les cite.

-Le canon, dans lequel la balle circule avant de quitter l'arme. Le barillet, qui sert à charger l'arme. Le chien, qui sert à l'armer. Quand on l'abaisse, la munition rentre dans la chambre, où elle sera percutée par le percuteur quand on appuiera sur la détente -ce machin là.

Je reprends l'arme par la poignée, canon vers le sol.

-Pour viser, on utilise ces deux éléments, le cran de mire et le guidon.

Je redresse le nez du pistolet, le pointe sur une cible.

-Il faut que le guidon apparaisse parfaitement entre les deux côtés du cran de mire. On arme.

J'abaisse le chien.

-On vise, on appuie doucement sur la détente jusqu'à ce qu'elle bloque un peu -c'est la première bossette. Puis une fois qu'on a la bonne visée, on bloque la respiration et on presse à fond.

Le coup part et la balle atteint parfaitement le centre de la cible. Je baisse de nouveau le pistolet vers le sol et me tourne vers Calloway. Non, Cailean, Sasha, qui tu veux mais pas un Calloway. Je vais l'appeler Clive Carpenter dans ma tête, ce sera mieux.

-Des questions ?

Je hausse un sourcil. Moins que zéro, moui… ça voudrait dire qu'il ne reconnaîtrait même pas une arme à feu s'il en voyait une. C'est peut être un peu exagéré, je ne pense pas qu'il soit aussi stupide. Je ne pense pas que les Calloway, de manière générale, soient stupides. Mathias aurait été beaucoup plus facilement pardonnable si c'était le cas. Je pense.
J'attaque la leçon de Callo… erm, Carpenter, et dès que je m'y plonge, j'oublie à qui j'ai affaire. Ou presque. En tout cas, je parviens à me comporter comme face à n'importe quel élève. Les explications que je lui donne et les gestes que j'effectue sont d'une telle banalité que je sens tout doucement mon animosité fondre. Je crois qu'il est réellement intéressé par le sujet. Mais je préfère rester sur mes gardes. Au cas où. Juste au cas où. Mathias aussi savait enjoler les gens. Il l'a bien fait avec Bram. Pas uniquement lui, mais c'est par leur duo que j'ai souffert.
Je me tourne vers lui et lui lance un regard surpris lorsqu'il me complimente.

-Merci… je réponds dans un murmure prudent, teinté d'une certaine surprise.

Je termine mes explications et ma démonstration. Et là, les questions pleuvent. On dirait presque Sasha. Bon, en moins pire, elle, elle est vraiment terrible quand elle veut. Mais c'est tellement adorable, venant d'elle.

-Doooucement, laissez moi le temps de répondre… je dis doucement. Le recul dépend du calibre de l'arme. Plus le calibre est gros, plus la percussion est violente, plus le recul est important. Le calibre, c'est la taille de la balle. Ce pistolet -avec lequel vous allez commencer- a un petit calibre, et donc quasiment pas de recul.

Je lui tends l'arme, poignée vers lui.

-Prenez le et diriger toujours le canon vers le sol pour éviter les accident. Pour lninstant, nous nous concentrerons sur les armes de poings, nous verrons les fusils et les carabines plus tard. Le recul est beaucoup plus important et les accidents du genre déboitement ou fracture de l'épaule sont fréquents au début si on place mal la crosse. Quant à la cible…

Je l'examine des pieds à la tête.

-Je ne peux pas vous donner de délai exact. Mais je pense que vous progresserez vite. Vous êtes intéressé et je pense que vous n'aurez pas trop de mal à trouver la bonne position. Après, à voir si vous avez un bon sens de la visée.

L'ombre d'un sourire étire mes lèvres.

-Vous voulez essayer maintenant ? Ou vous avez d'autres questions ?

J'acquiesce pour confirmer. Oui, quasiment pas de recul.

-Au pire, vous ressentirez un léger choc qui peut s'étendre jusqu'à vos coudes, éventuellement. Mais pas plus désagréable qu'un gros gros frisson. Ou une secousse un peu bizarre.

Il prend l'arme dans ma main et je baisse mon bras un bref instant avant de finalement les croiser sur mon torse. Je l'observe attentivement. J'ai l'impression qu'il ne s'en tire pas trop mal. Il fait un bon élève. Intéressé, impliqué et appliqué.
J'examine soigneusement sa position.

-Mmh, c'est pas mal. Mais je crois que pour commencer, vous devriez prendre le pistolet avec vos deux mains. J'aurais dû vous montrer. Pardonnez moi.

Je viens l'aider à se positionner, face à la cible, les deux mains sur la crosse. Je lui fais légèrement plier les bras, l'incite à rapprocher ses pieds l'un de l'autre en poussant doucement l'un des deux du bout de ma chaussure.

-Souple et détendu. Vous ne risquez pas grand chose avec un pistolet, à part de mal viser, mais avec un fusil, si vous n'accompagnez pas le mouvement, vous pouvez vous blesser gravement. Au mieux vous vous luxez quelque chose, au pire, vous vous brisez un os. Ou deux.

Je m'écarte un peu, examine de nouveau sa position, et revient pour lui faire fléchir un poil plus les coudes.

-Parfait. Ni trop, ni trop peu fléchi. Là ça devrait aller.

Je romps le contact et lui accorde même un sourire. Je me suis radouci, je reste prudent mais moins… distant. Lui aussi sait maîtriser la magie du sang ? On va éviter qu'il ne se coupe. Hein. Voilà, dans le doute.

-Allez y. Et essayez les deux types de visées, pour voir laquelle vous convient le mieux. je murmure tout en douceur.

J'acquiesce.

-Avec les deux mains. On a une meilleure prise comme ça, et normalement on a moins de difficultés à s'immobiliser.

Je l'aide donc à se placer, un peu moins sur mes gardes que précédemment mais sans relâcher pour autant mon attention. Mathias était fourbe. Et si Nathan… Clive Carpenter… ooooh au diable, Nathaniel Calloway ne semble pas aussi tordu que son cousin, je ne peux être pleinement tranquille.

-Je ne saurais vous dire. Je suis un très très mauvais escrimeur. Tout ceux qui se sont essayés à m'enseigner à me battre avec une lame autre qu'un couteau ou une dague ont fini par baisser les bras et ont compris le véritable sens du mot désespoir.

J'ai un léger rire. A vrai dire, je suis bien triste de ne pas avoir réussi à apprendre à me battre avec une rapière, un sabre, une épée ou un fleuret. Cela ne m'a jamais paru naturel. Et personne jusqu'ici n'a trouvé la bonne méthode pour me rendre cela plus bénéfique que dangereux. La dernière fois que je me suis essayé à cette activité, j'ai failli m'éborgner moi-même en tentant désespérément de parer une attaque.

-D'accord.

Je l'observe reproduire soigneusement les gestes que je lui ai appris et qu'il a assimilé si facilement, comme si en réalité il savait déjà tirer.
Je croise les bras sur mon torse et affiche un sourire en coin pour sa première balle.

-C'est un très bon début. Mais je pense que vous vous en sortirez mieux en visant avec l'oeil droit. Votre balle devrait se trouver plus près du centre de la cible. Vous êtes droitier, de base ?

Mon regard revient se poser sur lui.

C'est souvent la main directrice qui donne l'oeil directeur, mais il arrive que cela ne soit pas le cas. Comme pour les pieds. Moi par exemple j'ai deux pieds gauches.

Piètre tentative d'humour.