Nathaniel Calloway ♠ Dark, sweet boy with magic in his head

C'est en observant la foule compacte et pourtant éphémère de cette soirée d'hiver glaciale, en laissant son regard s'attarder sur deux enfants en train de se tenir l'un à l'autre sur leurs patins à glace, que les souvenirs de son enfance heurtent Nathaniel Calloway de plein fouet. C'était il y a si longtemps...

Hiver 1881, manoir de Morgan Calloway.
Nous étions arrivés dans le fiacre tiré par des chevaux écumants malgré les températures glaciales de la fin de ce mois de janvier. Maman retenait ses larmes depuis que nous étions montés dans la voiture, mais en voyant la maison, elle a éclaté en sanglots. Papa est sorti tout de suite et nous a aidés à descendre, avant de se précipiter dans l'immense demeure. J'ai pris la main de maman et je l'ai suivie sans trop comprendre, jusqu'à ce que nous arrivions dans une chambre d'enfant.
« Mon chat, j'ai besoin que tu t'occupes de ton cousin », elle m'a dit à l'oreille d'une voix mouillée.
J'ai trouvé Mathias en train de jouer avec une peluche et je me suis assis à côté de lui sans rien dire. Il était petit encore. Alors j'ai pris une autre peluche et je suis resté près de lui, jusqu'à ce qu'on se mette à faire parler nos jouets. Ni lui ni moi ne comprenions ce qui se passait, alors j'ai joué jusqu'à ce que maman et papa reviennent. Ce n'est que là, quand papa m'a emmené pour me parler, qu'il m'a expliqué que la maman de mes deux cousins était morte en couches, et qu'il fallait que j'aide à prendre soin des deux enfants comme j'étais le plus grand.

Le jeune homme lâche un soupir. Les quelques semaines qui avaient suivi la mort de sa tante avaient été parmi les pires de son existence. Entre vivre sous le même toit qu'un oncle tout juste veuf, partager sa chambre avec un petit cousin qui se réveillait en pleurant et en appelant sa maman toutes les nuits, Nathaniel ne savait pas ce qui était pire. Mais il avait tout fait pour réconforter et consoler Mathias, dormant presque chaque soir dans son lit pour le bercer. Et il s'était juré de toujours protéger son cousin.

Été 1890, manoir de Morgan Calloway
C'était le neuvième été que je passais chez mon oncle et mes cousins. Et le dernier avant longtemps, mais je ne le savais pas encore. A bientôt dix-sept ans, je rêvais d'aventures, et ne me privais pas pour en vivre de folles avec Mathias, entre notre cabane dans les bois et les caves secrètes que nous avions trouvées sous le château. Les étés s'étaient enchaînés sans se ressembler, et nous avions vécu de beaux souvenirs à chaque fois : les oisillons dans la cabane, les baignades dans le petit lac, nos séances de tir à l'arc artisanal, les courses dans les vignes à pied ou à cheval... Et toutes les bêtises que nous avions faites, entre chiper des pommes dans le verger du voisin et endormir notre professeur pour sécher les classes, tout cela allait prendre fin. Mais je voulais profiter de cet été au maximum.

Un sourire un peu mélancolique se dessine sur ses lèvres alors qu'il regarde le plus grand des enfants aider l'autre à se relever après une chute. Ils avaient été pareils avec Mathias... Toujours l'un pour l'autre. Et avec leurs corbeaux pour s'envoyer des lettres, jamais bien loin l'un de l'autre... La seule ombre au tableau était Morgan Calloway, le puissant télépathe toujours à la recherche de la perfection. Nathaniel ne comptait pas le nombre de fois où son oncle l'avait mis en compétition avec son cousin, par une pique, une remarque désobligeante adressée à Mathias ou un compliment bien trop enthousiaste envers lui. Et ce, malgré les tentatives de Nathaniel de complimenter et d'encourager son cousin.

Octobre 1896, hôtel particulier de Grant Calloway, Londres
Je venais de rentrer des États-Unis après quatre ans à New York pour apprendre le droit -enfin, c'était surtout une couverture pour développer mes pouvoirs et m'entraîner à les utiliser au cours de parties de cartes. Car si mon métier est avocat -en lisant les pensées d'autrui, la défense est beaucoup plus facile à mettre en place-, je ne plaide pas souvent, préférant utiliser mes pouvoirs lors de partie de poker à gros enjeux et ainsi amasser un joli petit pécule. C'est bien moins fatigant... Mais ce soir-là, je ne devais pas songer au travail. Mon cousin préféré fêtait ses dix-huit ans, et vu la mine qu'il tirait, il n'en était pas ravi. C'est en discutant avec lui après quatre ans sans presque aucun contact que j'ai appris qu'il venait de se faire briser le coeur. Insensible aux chagrins d'amour depuis que je courais les bordels du Vieux Continent et du Nouveau Monde, j'ai décidé de l'emmener le lendemain dans une maison de joie. Malgré sa réticence.

Cette fois, c'est un léger rire qui s'échappe des lèvres de Nathaniel. Depuis, son petit cousin a pris le pli, et si d'aventure un concours venait à être lancé entre les deux pour savoir qui a le plus fréquenté les filles -et hommes- de joie, le plus âgé des deux n'avait aucune certitude de gagner. Et cette passion commune pour les maisons closes avait fini de renouer les liens qui s'étaient distendus avec le départ de l'aîné pour le Nouveau Monde. Depuis, il ne se passe pas une semaine sans que les deux terreurs ne se retrouvent pour discuter et boire, avant de se séparer pour aller dans deux chambres différentes finir la nuit avec la chanceuse ou le chanceux sur lequel chacun a jeté son dévolu.

Nathaniel Calloway se lève du banc sur lequel il est assis depuis plus d'une heure, plongé dans ses souvenirs, et remonte le col de son manteau avant de partir vers l'appartement qu'il occupe non loin de Hyde Park. Dans trois jours, c'est son anniversaire, et il compte bien le fêter dignement...