Cursed Cards  -  Cailean [mission]

Il nous a fallu un jour et demi de cheval pour atteindre le petit village de Fortchester, perdu au milieu de nulle part, entouré de bosquets touffus et de quelques pâturages verdoyants. La carte fournie avec l'ordre de mission par Nemo était suffisamment précise pour que j'évite de nous perdre. Enfin. C'est aussi parce que j'ai l'habitude de lire les cartes et de cheminer avec. Mais heureusement que je suis parvenu à nous emmener à bon port. Je n'aurais pas voulu que la première mission du petit Cailean, auquel je me suis tant attaché, commence si mal. J'ai vraiment la sensation qu'il a besoin d'être protégé et choyé. D'être entouré. Soutenu. Et si je peux l'aider sur ces plans là… Je le ferais. Chester m'a tendu la main au moment où j'en avais le plus besoin il y a presque vingt ans, à mon tour de rendre la pareille à quelqu'un.
Sans mettre pieds à terre, je flatte l'encolure de ma jument et me tourne vers le jeune homme.

-Tu te sens d'aller interroger les habitants restant maintenant ? Ou de visiter la chapelle ? Ou tu préfères qu'on prenne un peu de repos avant ? je demande avec douceur.

Je suis habitué à chevaucher de longues heures, parfois des journées entières sans la moindre pause -oui il m'est arrivé de manger et dormir en selle, pour ne citer que cela- mais je doute que ce soit le cas de petit Cailean. Et s'attaquer dans la foulée à une chapelle possiblement hantée ou que sais-je, où une trentaine de personnes sont décédées d'un coup sans prévenir n'est peut être pas très très intelligent et prudent lorsque l'on est fatigué.

J'observe attentivement mais assez discrètement le jeune homme. Il m'assure qu'il se sent d'attaque, mais son corps, lui, me fait passer le message inverse. Non, ce ne serait pas prudent de se lancer maintenant.

-C'est certain, au moins à l'auberge. D'ailleurs on devrait peut être commencer par là. Prendre une chambre pour cette nuit, et manger un repas même si ce n'est plus l'heure du déjeuner depuis longtemps parce que je ne sais pas ce que tu en dis mais depuis hier soir, le temps est long. Et j'ai faim.

J'affiche un sourire tendre, légèrement paternel. J'espère avoir été assez subtil dans ma manière de lui annoncer que le repos était de mise.

-Les morts peuvent attendre un peu, quant aux vivants, ils ne s'approchent plus de la chapelle. Et la chapelle n'a pas de conscience pour nous attendre.

Je mets pied à terre cette fois-ci, et m'étire longuement pour chasser les quelques raideurs existantes dans mon dos. Je grogne lorsque Khamsin me donne un coup de nez dans le bras -c'est sa façon de me montrer qu'elle m'aime- et lui gratouille les naseaux.

-Allez, viens Cailean. Allons bichonner nos montures et manger, nous l'avons bien mérité.

Je me mets en marche d'un pas tranquille, une main sur la bride de ma jument, plus par réflexe qu'autre chose vu qu'elle me suit sans problème de base. Les rues sont en terre battue, et il n'y a pas âme qui vive, pas même quelques enfants qui jouent. Sinistre.

J'acquiesce alors que mon sourire s'élargit.

-On va trouver quelque chose.

Nous atteignons finalement l'auberge et la tenancière sort nous accueillir avec une chaleur qui contraste avec la désertion glaçante du village.

-Bonjour madame ! Une chambre avec deux lits serait idéale si cela est possible, et s'il vous restait de quoi déjeuner malgré l'heure tardive, ce serait merveilleux… Ne vous en faites pas pour nos chevaux, j'ai l'habitude de m'occuper d'eux.

Je garde mon sourire, quoiqu'il passe de paternel à affable.

-Naturellement, il me reste un peu de ragoût de mouton et de pomme de terre, je vais le faire réchauffer.
-Merci beaucoup…

Je prends doucement les rênes des mains de Cailean.

-Rentre te reposer, je m'occupe d'eux, je n'en aurais pas pour longtemps. Je te retrouve pour manger, et ensuite je te conseille de prendre un bain, ça dénouera tes muscles.

L'aubergiste fait signe à Cailean de la suivre alors que je pénètre dans les écuries avec Khamsin et Bruyère. Je m'occupe en premier de ce dernier, moins habitué que ma jument a attendre tout équipé après une longue chevauchée. Enfin, je suppose. Désellage, débridage, pansage, le tout devant une bonne ration de grains et un petit ballot de foin. Je laisse les chevaux à leurs occupations et pars retrouver Cailean et notre repas, l'estomac tordu et hurlant à la mort.

J'ai à peine le temps de m'asseoir en face de Cailean que l'aubergiste dépose deux bols bien remplis, presque trop même.

-Merci beaucoup madame.

Je souris, amusé et attaque le repas avec un lourd soupir de bien être. Je crois que je mourrais de faim finalement.

-Je suis d'accord. Je crois que nous en avions besoin tous les deux.

Une bonne partie du repas se passe dans un silence religieux, troublé uniquement par nos bruits de mastication et les ronronnements d'un chat qui vient faire le beau près de nous. Je lui accorde quelques caresses, avant de reporter mon attention sur Cailean, puis de baisser les yeux sur mon ragoût.

-J'aurais dû moins nous presser pour le voyage. J'ai tellement l'habitude de passer des heures à chevaucher que je n'ai pas pensé que tu en souffrirais. Je te demande pardon. je dis doucement. Nous prendrons notre temps pour le retour, c'est promis, peut être pourrions nous même trouver un train pour te ménager.

Je nous sers chacun un verre d'eau et bois une longue gorgée.

-Quelles sont tes premières impressions ? Sur le village, les environs, tout.

J'achève mon bol en sauçant avec un bout de pain. L'aubergiste nous jette un coup d'oeil discret, mais voyant que nous n'avons pas tout à fait terminé, nous laisse tranquille.

Je secoue légèrement la tête.

-Cailean, quand on apprend des choses aux gens, ou aux animaux, on n'attend pas d'eux qu'ils l'assimilent et l'appliquent et savent le faire parfaitement immédiatement. Les premières fois où je montais à cheval, je n'arrivais plus à marcher après et pourtant je ne montais qu'une heure ou deux. Quand j'ai commencé à faire de longues chevauchées, je souffrais autant que si je montais pour la première fois. je réponds avec douceur. Je n'ai plus ce problème sauf cas exceptionnels, ce qui ne signifie pas que c'est ton cas également.

J'entreprends de me faire moi aussi une tartine de fromage.

-Je m'adapterais à ton rythme quoi que tu dises.

Je mords dans mon pain en soupirant de bonheur. Bon, ça ne vaut pas la brioche à la fleur d'oranger mais ça reste délicieux. J'écoute attentivement ses remarques au demeurant très pertinentes.

-Excellente question. Il va falloir qu'on cherche la réponse.

Je fais signe à l'aubergiste, qui approche avec un sourire.

-Nous voudrions nous recueillir à la mémoire de notre défunte mère ce soir… connaissez-vous un endroit où il serait possible de faire cela ? Peut être dans la chapelle de votre village ?

La femme blemit de façon inquiétante.

-Je vous déconseille de vous approcher de cet endroit si vous tenez à la vie… elle murmure.

Je hausse les sourcils et lance un regard à Cailean pour lui laisser l'occasion de renchérir.