Mam'alpha & baby wolf - Alva

J'ai l'impression que la vie file à toute allure depuis la morsure. Je n'arrive pas à réaliser que j'ai déjà subi trois transformations, que le palu c'est bel et bien fini, que j'ai repris un rythme de mission normal à la Ligue, tout s'enchaîne à une vitesse folle. Sauf la maîtrise de mon pouvoir et de mon côté loup. Oh, je ne fais pas vraiment de bêtises, au contraire, je suis plutôt sage et soumis -normal vu ma place naturelle dans la meute et mon don- mais c'est surtout l'amnésie qui me guette au petit matin qui me taraude et me frustre. J'ai peur de ce qu'il pourrait arriver. J'ai peur de ce qu'il se passe pendant que je perds conscience, ou plutôt, que je ne parviens pas à relier ma conscience de loup à celle d'humain de façon suffisamment forte pour que l'une et l'autre se rejoignent les nuits de pleine lune et que je garde un minimum de contrôle et de souvenirs. Je déteste la perte de contrôle. Mais je n'ai pas le choix.
Du moins pas encore. Mais je peux peut-être changer cela.
Du fait, j'ai envoyé un mot à Alva Hennessy, mon second Alpha, pour convenir d'un rendez-vous afin de parler de diverses choses en rapport avec la meute, et lui soumettre mon idée. C'est un peu étrange… je suis plus proche de Tristan que de sa fille, mais il n'était pas disponible et je doute qu'il apprécierait mon idée… protecteur comme il est avec moi depuis mon retour après le naufrage… D'ailleurs j'aime bien ce côté protecteur qu'il a, j'ai l'impression de pouvoir me reposer sur quelqu'un sans craindre de me prendre une remarque désagréable. J'ai l'impression que mes arrières sont assurés.
Bien sûr, je sais que je peux compter sur ma Sasha d'amour, mais ce n'est pas le même genre de repos. Ni de sécurité. Sasha n'appartient pas à la meute, c'est peut être pour ça. Mais elle reste la personne la plus importante de l'univers à mes yeux. Et à mon coeur.

C'est la tête pleine de questions autant que d'espoirs que je prends donc la direction du territoire de la meute en ce milieu d'après midi d'août. Il fait chaud, lourd même, comme si un orage menaçait, mais le ciel est bel est bien bleu, le soleil brille si fort qu'il aveugle même sans qu'on le regarde en face… Je laisse Khamsin aller à l'allure qui lui convient -un petit galop confortable apparemment pour aujourd'hui, ce qui veut dire que je serais en avance- trop heureux que nous ayons enfin retrouvé notre relation d'avant. La mission avec Lucian, durant laquelle nous avons tout de même passé un certain temps à cheval, a probablement dû beaucoup aider à renouer l'un avec l'autre.
Elle ne ralentit qu'une fois les abords du territoire de la meute atteints. Elle doit probablement sentir l'odeur des loups. De mes loups à moi. Face à aux signes d'inquiétude qui transparaissent dans son comportement, je tente de lui envoyer une toute petite vague d'apaisement, une main posée sur l'encolure. Elle s'arrête, soudain détendue. Peut être un peu trop puisqu'elle baille longuement avant de mâchonner son mors.

-Eh ma belle… on n'est pas encore arrivés.

Je serre les mollets mais elle ne daigne plus bouger d'un pouce. Je mets pied à terre et… nom de dieu elle a les yeux mi-clos, comme lorsqu'elle somnole. Bien joué Huck. Bravo. J'ai dû endormir tous les écureuils et toutes les souris du coin. Les pauvres. Espérons qu'ils soient en sécurité au moins, et pas au milieu de nulle part à la merci d'une chute ou d'un prédateur.
Je vais être en retard.
Parfois, je déteste mon don.
Je m'assois donc par terre en tailleur, devant ma monture, les rênes et le menton dans les mains. Et j'attends. J'attends. J'aaaaaaaatteeeeeeeeends une éternité que l'autre daigne enfin remuer ses sabots tout propres et graissés.
J'aurais presque pu m'assoupir à mon tour. Peut être que je l'ai un peu fait d'ailleurs parce que c'est un tiraillement sur les lanières de cuir qui me tire de… euh… du… de ma rêverie dirons-nous.
Khamsin semble plus alerte. Je me lève, remonte en selle et c'est à fond de train que je gagne une des petites clairières qui nous sert de point de rendez-vous.

Eeeeeet je suis effectivement en retard, puisqu'Alva m'attend déjà.
Ma monture n'est même pas encore arrêtée que je saute sur le sol.

-Excusez-moi, j'ai endormi ma jument par accident en chemin, du coup, j'ai dû attendre qu'elle se réveille, je ne pouvais pas la laisser seule dans les bois, elle n'aurait pas été en sécurité, et puis…

Je m'interromps soudain, horrifié.

-Et je n'ai même pas dit bonjour, pardon, bonjour… j'achève dans un murmure penaud.

Khamsin a profité de mon inattention pour mettre le nez dans l'herbe.

C’était le coeur de l’été, le soleil frappait fort et se retrouver au coeur de la forêt du domaine était un réel plaisir. Depuis quelques mois, la louve neigeuse retrouvait goût aux petites choses de la vie. Elle ne pourrait sans doute jamais dire que Janvier était loin mais les cauchemars étaient moins récurrent et ces derniers mois avaient été remplis d’épreuves difficiles mais aussi de beaux moments, de ceux que l’on ne vit que lorsque des personnes auxquelles on tient vous épaules et par cet acte vous témoignent qu’elles tiennent à vous, ou d’autres dont on attendait rien et qui vous apporte soudainement quelque chose dans les heures les plus sombres.

Elle s’efforçait de se concentrer sur ces moments-là, plus que sur les songes rouges ou les sursauts qui lui prouvaient que son esprit était marqué. Mais Alva Hennessy se relevait, l’échine droite, la tête haute, elle marchait de nouveau vers l’avenir aussi sombre pouvait-elle le prédire, elle trouverait la force de se battre pour le sauver ou de mourir en essayant. S’il lui fallait affronter l’enfer pour celà alors, qu’à celà ne tienne, elle pouvait bien sacrifier son âme si celà lui permettait de préserver le monde du fléau.
Mais aujourd’hui, ce n’était pas en son nom de mentor ou de protectrice de l’équilibre que défendait la Ligue qu’elle arpentait cette forêt. Non, c’était en tant que leader, que chef de meute, une autre tâche qui lui tenait à coeur même si elle continuait de craindre, au fond d’elle, qu’une alpha avec son mal puisse être une erreur. Mais elle luttait contre ça, comme elle luttait contre le reste, comme elle avait lutté contre tout depuis son enfance. Au fond, être porteur de la soif de sang, c’était ça... se battre en permanence pour rester “humaine”. Et aujourd’hui, son humanité et sa place de chef, elle la gagnerait en tentant de venir en aide à l’un de ses loups, l’un des plus récents de la meute.

Le message de Huckleberry l’avait surprise, l’homme était clairement plus lié à son père et si quelques loups étaient plus assujettis à elle, Monsieur FInn était clairement plus sous l’influence de son père. Ce n’était en rien un souci au sein de la meute, il n’était nullement question de clan même si le fait d’avoir deux alphas pouvait perturber certains loups de la vieille école. Non, les deux alphas menaient dans un équilibre parfait et tout n’était qu’une question d’affinités de personnalité ou de passé commun. Et dans tous les cas, son père restait la référence et tous étaient loyaux envers les deux alphas, les sujets d’affinités étaient simplement pour la gestion courante de la meute. Huckleberry avait traversé quelques épreuves avec son père et était ainsi plus proche de lui, tout comme Andrew avait toujours porté tant d’affection à Alva qu’il s’était naturellement placé à ses côtés.
Elle arriva sans encombre au point de rendez-vous, dans une tenue plus masculine que féminine, mais elle était ici sur ses terres et un pantalon restait bien plus pratique pour monter qu’une de ces longues jupes plus encombrantes qu’autre chose. Une simple chemise blanche un peu ample était coincée dans la ceinture large en cuir à laquelle était fixée un poignard (on ne sort jamais nue) sans compter celui caché dans sa botte et le petit flacon d’eau bénite qui ne la quittait plus devenu une autre arme à part entière depuis son retour. La lame dissimulée était elle aussi bénit, celà ne suffirait pas à tuer un démon mais sa blessure aurait ainsi plus de mordant pour cette engeance de l’enfer et plus jamais elle ne les sous estimerait.

Elle était en avance et descendit du dos de Thanatos, Elle retira les rênes qu’elle roula dans sa sacoche de selle et croisa ses étriers pour qu’ils ne gênent pas le cheval qui partait déjà explorer un buisson. En le suivant des yeux, elle vit les petites baies noires et alla cueillir quelques myrtilles sauvages qu’elle grignota en attendant Monsieur Finn... qui n’arrivait pas... toujours pas...

La ponctualité n’était donc pas son fort, celà commençait mal et pas de tentative de se manifester mentalement pour l’avertir... Elle pourrait le faire pour lui rappeler l’heure de leur rendez-vous, mais se ravisa se disant que celà ferait partie de la leçon. Elle lui donnait encore dix minutes avant de tout de même le contacter et vérifier que rien de fâcheux ne lui était arrivé en chemin et finalement le son de sabot lancés à vive allure lui annoncèrent son approche.
L’homme sauta de sa monture avant même que celle-ci ne s’arrête et arriva en dérapant presque devant elle. Elle l’observa, quelques fruits dans le creux de sa main, le visage parfaitement neutre.
Et dans ses plates excuses, il lui donnait l’objet d’une autre leçon, bon, Aïcha serait mieux placée qu’elle pour l’aider sur ce point mais peut être trouverait elle de quoi l’aider dans sa propre expérience avec son aura d’alpha... aura qu’elle avait peiné à maîtriser à cause de la soif et de son retour fracassant par le biais de son inconscient. Et il terminait en balbutiant penaud un bonjour en s’excusant de ne pas avoir dit bonjour.  Elle arqua un sourcil. Craignait-il qu'elle le morde ? A Scotland Yard, ou à la Ligue sans aucun doute, ici, elle pouvait se montrer un peu plus indulgente.
« Bonjour Huckleberry. » répondit la louve. « Mieux vaut avoir à travailler sur votre aura que sur votre ponctualité. » ajouta-t-elle pince sans rire avant de s’avancer vers Khamsin et de l’attraper par les rênes pour la ramener vers eux.
« Votre main s’il vous plaît. » demanda t’elle et dès qu’il lui tendit, elle y laissa tomber les quelques myrtilles qui lui restait avant de demander. «S’habitue t’elle suffisamment à la proximité des loups pour ne pas fuir si je la lâche ? Ou dois-je l'attacher à un arbre ? »

Je rougis à sa remarque.

-Pardon… je répète dans un bafouillement.

J'ai lâché les rênes de ma jument en sautant à terre ? Ah oui… effectivement. Je les reprends doucement des mains d'Alva, un perturbé parce que d'ordinaire, même en chutant, je ne les lâche jamais, puis m'exécute. Je pose un regard intéressé sur les myrtilles -et pas à cause de mon prénom mais parce que j'aime beaucoup ces petites baies croquantes et juteuses- avant de revenir à mon interlocutrice.

-Merci. J'adore les myrtilles.

Je jette un coup d'oeil à ma jument.

-Je vais l'attacher en longe longue. Je sais qu'elle ne risque rien ici mais elle est encore un peu inquiète dès qu'elle sent la présence des loups, surtout les inconnus.

Je glisse les petits fruits dans ma bouche et souris en les mâchant délicatement. L'explosion de saveurs m'arrache un petit soupir de contentement et de bonheur. Mon dieu, c'était si savoureux avant que je devienne un loup ? J'ai l'impression de manger une délicieuse forêt.
Sans lâcher les rênes, je tire une longe de mes sacoches de selle, puis retire le mors de la bouche de Khamsin en le détachant de son filet pour enfin attacher ma monture à une branche souple, qui cassera en cas de gros problème sans pour autant la mettre en danger.
Je reviens ensuite vers mon alpha.

-Voilà, euh, je suis à vous…

Je la fixe en silence quelques secondes, avant de reprendre la parole en rougissant.

-En fait… c'est plutôt à moi de vous expliquer pourquoi je désirais que nous nous voyions…

Si la maladresse devait avoir une incarnation sur terre, ce serait probablement moi.

-En fait je… je voudrais que vous m'aidiez à me maîtriser. A maîtriser un peu mon pouvoir bien sûr mais surtout mes transformations. Je… je voudrais… réussir à me souvenir de ce que je fais, au moins un minimum, savoir aussi ce que je fais quand je suis en loup parce que…

Je soupire, l'air peu assuré.

-... au fond de moi, j'ai toujours cette espèce de boule de terreur qui me ronge parce que j'ai peur de faire du mal aux autres. J'ai peur de blesser ou tuer en perdant le contrôle… enfin je n'ai déjà pas le contrôle, du moins, je n'en ai pas l'impression… et je ne veux surtout pas cela…

Je baisse les yeux, penaud. Je ne sais pas quoi ajouter de plus et j'ai l'impression que… cette idée était une mauvaise idée. Une très mauvaise idée. Elle va refuser.

Le coin des lèvres de la louve se souleva en un léger rictus, très léger face au bafouillage de l’homme. Et bien s’il réagissait ainsi à un trait d’humour (certes très discret comme chez beaucoup d’anglais), qu’est ce que celà donnerait s’il devait un jour essuyer sa colère.

Elle lui laissa néanmoins reprendre les rênes de sa monture pour l’attacher ou la lacher comme bon lui semblait. Il était le plus à même de savoir ce qui serait le mieux pour elle. Si avec d’autres personnes elle aurait sans doute donné son avis sur la question, voire imposé son point de vue pour le bien-être du cheval, elle connaissait maintenant suffisamment Monsieur Finn pour savoir qu’il portait à sa jument autant d’affection qu’elle en portait à Thanatos.

« C’est normal, il faut du temps à une proie pour vivre en paix en milieu de prédateurs. Si vous rencontrez des difficultés pour elle, nous pourrions envisager de travailler cela avec Sunlight ou Thanatos. Sentir d’autres cheveux apaisés au contact de loups pourrait l’aider.» proposa la louve en observant Huckleberry attacher Kamshin en longe longue.

Lorsque le loup sombre revint vers elle, elle se tenait debout au centre d’une petite zone dégagée, les mains dans le dos, et vu la tête de son nouveau loup, elle devait arborer par habitude une mine plus froide qu’elle ne le pensait. Elle inclina légèrement la tête après ses premiers mots, en attente de la suite. Après tout, c’était lui qui avait demandé cet entrevue sans doute dans un but précis et il était temps qu’il l’exprime malgré le rosissement de ses joues. Décidément, à ce rythme il allait finir aussi rouge qu’un coquelicot.

Enfin, il ne lui fallut pas longtemps pour en venir à la raison de cette entrevue et si Alva s’était attendue en partie au sujet qu’il souhaitait travailler, qu’il exprime aussi ouvertement le “pourquoi” la renvoyait à son propre vécu. Elle avait hoché doucement la tête en accord et dissimula dans un sourire poli ses propres démons.
« Tout d’abord Huckleberry, détendez vous. Je suis l’une de vos alpha, je ne suis pas là pour vous juger ou vous sermonner.» Elle fit un pas vers lui, s’efforçant de chasser la froideur si naturelle de son visage. « La perte de souvenirs est très perturbante pour les jeunes loups et encore plus pour un mordu. Je comprends vos craintes. »

Elle ne pouvait que les comprendre. Même si en tant que native, la perte de mémoire des premières transformations n’avait pas été un souci, un autre mal l’avait poussé à cette erreur et elle n’avait pas la chance de ne pas s’en souvenir. Le goût du sang de Esther serait à jamais gravé dans sa mémoire comme le plaisir qu’elle avait ressenti, profond et viscéral... avant la honte lorsque de la bête, la louve avait repris le contrôle.
« D’ici deux, trois pleines lunes tout au plus, vous garderez la mémoire de vos transformations. Déjà avez vous peut être commencé à avoir des flash des dernières, des images sans cohérence, dans vos songes peut être ? »

C’était en général ainsi que le processus commençait, une communication d’abord via l’inconscient entre le loup et l’homme avant que l’esprit accepte pleinement l’union des deux en un seul et même individu. Et alors, le loup-garou gagnait ensuite la pleine conscience de sa nature et les souvenirs de ses actions sous forme lupine. Mais ces images étaient souvent morcelées, incohérentes et elles pouvaient apporter plus de confusion et de peur qu’autre chose.

Je me tourne vers elle en flattant tendrement l'encolure de ma jument.

-Oui, je pense que ça pourrait effectivement être bénéfique pour elle. Le plus dur a été de s'habituer à mes changements. Je crois que c'est l'odeur qui l'a le plus perturbée. Elle ne me laissait pas approcher au début, même quand je lui parlais.

Je souris lorsqu'elle me donne un coup de tête un peu brusque. C'est sa façon de montrer son affection. Bien qu'elle se soit adoucie au fil des années, avec l'âge et avec un travail acharné, elle garde une certaine brutalité sauvage.

Je reviens vers mon Alpha et c'est avec une maladresse presque enfantine que je lui fais part de mon souhait, de mes doutes et de mes angoisses. Son sourire a quelque chose de surprenant. Il est… il est précieux, je suppose, parce que je ne l'ai pas vu souvent, pour ne pas dire jamais, éclairer son visage. Et même s'il n'atteint pas son regard, c'est assez exceptionnel pour être remarqué, voire pour me faire presque oublier qu'elle a utilisé mon prénom entier. Chose que j'abhorre tout de même un peu beaucoup.

Je baisse légèrement la tête pour m'abîmer dans la contemplation de l'herbe et de nos pieds, les mains croisées dans le dos. Elle me rassure au mieux et je la crois quand elle dit qu'elle me comprend. Je ne sais ni comment, ni pourquoi, mais je perçois sa sincérité dans sa voix autant que dans ses gestes. Et peut être également grâce au lien de meute, mais je ne maîtrise pas encore totalement mes ressentis à ce niveau là.

-Je ne peux m'empêcher de vouloir faire tout à la perfection en ce qui concerne la meute. La confiance que votre père, et par extension, vous et les autres loups, avez placée en moi en m'acceptant ainsi est un honneur que je ne voudrais bafouer en aucun cas, et c'est pour cela également que je suis si tendu.

Je relève les yeux pour venir croiser son regard. Deux ou trois mois pour me souvenir de mes transformations… ce n'est pas ce que j'avais retenu de mes lectures mais c'est plutôt une bonne nouvelle. Je prends le temps de réfléchir à mes rêves de ces derniers temps.
Beaucoup de courses dans les bois. Le goût du sang. De l'agitation, ça, c'est sûr, je me suis retrouvé entortillé plus d'une fois dans mes draps, et je me suis même réveillé sur le sol au pied de mon lit pas plus tard que la semaine dernière.

-Je pensais que ce n'était que des rêves très… réalistes. Mais maintenant que vous le dites, ce sont peut être des flashs, oui.

Différents de ceux qui venaient me torturer après mon retour d'Arabie, ou lorsque je brûlais de fièvre. Je prends une courte inspiration, avant de fouiller plus attentivement le fin fond de mon esprit.

-Des sensations. Des images. Des bruits, des odeurs. Le goût du sang…

Je tressaille.

-Je crois que c'était un lapin. Des os qui craquent. Et surtout, des courses folles dans la forêt, il me semble. En tout cas, je me rappelle la sensation de la terre et de l'humus sous mes pattes et celle des buissons qui griffent ma fourrure. Mais je ne saurais dire si c'est la réalité ou mon imagination. Ou peut être des bribes de souvenirs des visions que j'ai eu pendant la cérémonie de morsure avec le breuvage.

J'affiche un sourire désarmant, un brin désolé sur les bords.

-J'ai l'impression d'être plus confus et inutile qu'autre chose… Oh, si ! L'odeur des végétaux humides ! J'ai toujours adoré cette odeur, mais là, elle était très très puissante, bien plus que d'habitude.

Mon sourire s'élargit à ce… oui, c'est un souvenir. Je crois bien que oui. Ou peut être pas ?
Je laisse échapper un soupir frustré.

-Quand vous dites deux ou trois pleines lunes, vous parlez vraiment en lunes, pas en véritables transformations ? Je veux dire  si par exemple, là, tout de suite, vous me transformiez trois fois d'affilées, je ne me souviendrais pas plus de ce qu'il s'est passé lorsque j'étais loup que lors de la dernière pleine lune…. Si ? Non pas que je meurs d'envie d'enchaîner trois fois d'affilées des transformations parce que ça reste très douloureux mais si ça peut me permettre de progresser plus vite et de m'apaiser par la suite pourquoi pas… mais en même temps vous ne seriez probablement pas d'accord alors de toute façon c'est inutile d'y penser… ou peut être que…

Je m'interromps quelques secondes, les joues écarlates.

-Pardon.

Je viens de faire ma Sasha. Décidément, elle déteint sur moi.

L'odeur était en effet un facteur important, d'autant que celle de Huck avait changé et quoi de plus perturbant pour une monture habituée à son humain de lui découvrir un nouveau parfum ? Et que dire lorsqu'en plus cette odeur était celle d'un prédateur ? Mais les chevaux étaient particulièrement intelligents et même si leur sensibilité demandait de leur laisser du temps, ils apprenaient et déjà Kamshin avait fait de gros progrès en quelques mois. La faire se mélanger à un petit troupeau qui n'avait plus de craintes de leurs loups l'aiderait sans aucun doute à se sentir elle-même rassurée.
« Nous ferons donc ça et dans quelques semaines ou mois tout au plus, vous devriez retrouver la même complicité qu'avant votre transformation.  » confirma Alva, il ne leur resterait plus qu'à organiser la rencontre avec les autres chevaux Hennessy.

L'affaire équine réglée, Huckleberry revint vers elle trouvant le courage de formuler sa demande malgré son air gêné ou d'une timidité extrême. Alva savait avoir une attitude "impressionnante", son aspect froid et sa taille assez haute pour une femme, tout comme son port de tête droit accentuait cette impression, tout celà jouait et c'était de toute façon indispensable dans son métier. Autant à la Ligue où certains doutaient encore parfois du bien fondé de son grade, le pensant dûe à la présence de son père au conseil plutôt qu'à ses compétences, et ce malgré le fait qu'elle ait gravit les échelons comme tout à chacun. Et depuis qu'elle était devenue inspectrice à Scottland Yard, c'était un plus âpre combat encore là bas, où son status de femme ajouté à son titre de noblesse, faisaient qu'elle était aux yeux de ses trops nombreux collégues macciste une simple arriviste voulant jouer les grandes... Bandes d'ignares stupides ! Son tableau d'affaires résolu dépassait déjà ceux de certains agents plus anciens... et il serait encore meilleurs si Anastasis et elle n'étaient pas obligés de devoir sacrifier quelques enquêtes aux affaires irrésolues afin de protéger le monde magique. Bref, cette allure froide et imposante était devenue une seconde nature dont les origines étaient bien plus sombres que l'utilité qu'elle avait aujourd'hui pour s'imposer dans un monde d'homme.

Mais ici, avec ses loups, elle essayait de se montrer moins glaciale et celà portait ses fruits même si son aura avait souvent le même effet et mettait une petite distance. Les craintes et le souci de perfection de Monsieur Finn étaient tout à fait louables et ce côté perfectionniste, encore une fois elle ne pouvait que le comprendre, elle l'était en tout point et ne se pardonnait que rarement la moindre défaillance.
« C'est tout à votre honneur, mais ce que vous traversez n'est pas une défaillance de votre part mais une étape inévitable du processus durant laquelle vous devez vous appuyez sur nous et sur le reste de la meute. Vous n'êtes plus seul Monsieur Finn, et vous ne le serez plus jamais.  »
Même si cela pouvait semblait être un discours bateau, mais au sein du meute ces paroles n'étaient pas creuses et reflétaient une profonde réalité. Si les non alpha ne pouvaient utiliser le coeur de la meute que pour joindre leurs alphas, ils pouvaient sentir la meute les accompagnant par ce canal, une sensation continue pas forcément précise mais l'unité (lorsqu'elle était réellement présente entre les loups la composant), la force et le soutien. Cela aussi, il s'habituera et apprendra à la faire sien.

L'évocation des réminiscence pouvant survenir en rêve poussa Huckleberry à réfléchir à ses propres songes et à les questionner, énumérant un grand nombre de détails reflétant cette belle découverte qu'il était en train de vivre. Ce qu'il énumérait était tous ces détails qui faisaient qu'un loup garou se sentait totalement entier sous sa forme lupine et au milieu de cette nature qui était son élément de prédilection. Mais démélé ce qui pouvait réellement être un souvenir de ce qui relevait du songe ou de ce que la vision que lui avait donné le breuvage de Aïcha semblait totalement le perdre et le dépiter. Perfectionniste ? Et bavard...
Sa frustration était palpable et compréhensible mais déjà il partait dans une série de questions et de recherche de solution à cette peur du dérapage qui l'étreignait.
« Asseyons-nous. » proposa la louve en montrant le sol, s'installant dans la foulée en tailleur à même le fin tapis de feuilles et de mousses.

Elle avait envie de lui dire qu'il devait être patient (ce qui était assez ironique sachant à quel point elle ne l'était pas elle-même dans ce genre de situation) et qu'il avait la chance que tout allait bientôt rentrer dans l'ordre tout seul. Il ne luttait pas contre un instinct sanguinaire démesuré et une colère omniprésente qui ne pouvaient se soigner ! Mais cela n'était pas des pensées digne d'une alpha, ni même d'elle, elle était passée par bien assez d'épreuve et connaissait suffisamment ce besoin d'exigence envers soi même pour pouvoir comprendre à quel point c'était déroutant, cette sensation de ne plus avoir le contrôle sur son corps et surtout son comportement.

« Je peux déjà vous rassurer sur un point, vous n'avez attaqué aucun humain durant vos transformations. Le seul sang que vous avez goûté est celui des proies que nous chassions. Pour le reste, c'est plus en transformations que celà se compte mais ce n'est pas aussi simple que de vous transformer trois fois de suite. Déjà, je ne le ferai pas car ce serait beaucoup trop violent pour votre corps, il n'est pas encore aussi bien habitué que le nôtre à ce processus et celà pourrait vous laisser des déformations osseuses. Et même si nous espacions ces transformations de quelques jours pour ménager le corps, cela ne serait pas suffisant pour que dans deux semaines vous vous souveniez de tout. C'est à la fois une question de transformation et de temps. Il faut le temps à votre cerveau d'assimiler et de s'adapter. Et l'apprentissage, c'est sur les temps de repos qu'il peut se faire, dans votre cas, lorsque vous êtes sous forme humaine. »

Comme en toute chose, c'était une question de dosage et cela dépendait aussi des personnes, pour certaines celà pouvait prendre près d'un an même si la moyenne était entre tois et six pleines lunes. Elle laissa le silence s'imposer un court instant pour qu'il puisse assimiler ses propos, un temps de repos en quelque sorte avant de reprendre.

« Nous pourrions envisager une ou deux transformations supplémentaires durant les prochains mois, celà pourrait en effet vous permettre de retrouver un peu plus vite votre mémoire des nuits de chasse. Ce n'est pas conventionnel mais c'est une demande à laquelle je pourrais accéder, mais vôtre manque de maîtrise de votre pouvoir pourrait nous poser un souci, il ne manquerait plus que vous m'endorsiez par inadvertance et vous n'auriez alors plus de chaperon. Et vous devez avoir conscience qu'une transformation hors pleine lune est plus douloureuse et fatigante à votre stade, vous aurez besoin de sommeil et de plusieurs jours de repos pour vous en remettre et vous risquez une violente migraine.»

Autant de désagrément qu'ils évitaient généralement aux jeunes loups qui devaient déjà gérer l'apparition d'un nouvel instinct les rendant un peu plus agressif que d'ordinaire, l'impact des sens surdéveloppés qui s'ils étaient source de découvertes était aussi un désagrément avec lequel il fallait apprendre à vivre surtout entre les odeurs et sons désagréable d'une capitale aussi peuplée que Londres, appréhender une nouvelle vie, une nouvelle organisation sociale avec ses codes qui lorsqu'ils n'étaient pas respectés pouvait être corrigés de façon violente aux yeux d'un ancien humain. Un nouveau loup avait suffisamment à gérer et pour Huck s'ajouter une aura bien particulière qu'il devait aussi apprendre à maîtriser, pour en plus imposer au corps et à l'esprit cette fatigue supplémentaire.
Toutefois, il avait la chance, sans le savoir, de s'être adressé à l'alpha chez qui ces arguments auraient le plus de poids pour obtenir ce qu'il souhaitait. Enfin, s'il était prêt à accepter un entraînement à la dure pour retrouver le contrôle de tous les aspects de sa nouvelle vie.