- Mon air de bourgeois et mon sourire peuvent me faire rentrer où je veux, peu importe mes vêtements.

A son sourire de sale gosse, Arthur répondait avec une attitude de sale gosse. Il soupira quand son collègue affirma ne pas avoir de tendance sadique, préférant ne pas répondre ; puis adressa une expression de dégoût à son clin d’œil. Quel homme insupportable. Le chasseur n’admettra jamais que leurs interactions l’amusaient beaucoup. Le soudain sérieux de Nathaniel le laisse à la fois curieux et confus. Ses yeux aciers rencontrèrent ceux de l’autre homme ; s’écarquillèrent légèrement lorsqu’une voix qui n’était pas la sienne traversa son esprit. Son cœur s’emballa. Il pâlit.

- Quoi.

Il y eût un silence étrange, dans sa tête. Il n’y était pas habitué. Puis il comprit que beaucoup de ses pensées avaient été entendu sans son accord – et cette information provoqua davantage son anxiété. Arthur haïssait plus que tout en révéler sur lui – même à ses proches. Sa tête était le seul endroit sûr où garder ses secrets, comme l’on gardait ses biens précieux dans un coffre. Similaire à ces jeux de « ne pense pas à telle chose », où l’image apparait clairement dans l’esprit de l’interlocuteur, l’écrivain pensa à ce qu’il essayait le plus de cacher – sa véritable identité. Le faux Doyle qu’il était. Crawford. Sa mère prostituée et son père tout aussi scandaleux. Dans la panique, il sortit son arme à feu de sa poche et visa l’autre homme avec une main tremblante.

- De quel droit…

Conscient qu’il ne fallait pas attirer l’attention du conducteur, bien qu’il ne fût pas sûr qu’il puisse entendre grand-chose puisqu’Arthur parlait entre des dents serrées, il fixa son collègue avec un air de félin pris au piège pour lui répondre par télépathie.

- Je ne vous ai pas invité dans ma tête, Nathaniel. Peut-être que je devrai rendre la pareil en mettant une balle dans la vôtre ? Je vous assure que ce serait la même sensation. Ce que je viens de penser à l’instant ne vous concerne pas, et ne vous concernera jamais. Si cela vient à se savoir publiquement, sachez que je suis un grand adepte de la vengeance. Je vous le ferai regretter. Pour la mission j’accepte ce moyen de communication, mais après cela, dégagez de mes pensées.

Nathaniel avait raison, il n’allait pas lui tirer dessus. Non, la meilleure solution était de tirer une balle dans sa propre tête. Cela il en était davantage capable. Tout comme il était capable de se jeter du fiacre en marche, et prendre la fuite jusqu’au premier bateau qui partait pour l’antarctique. Pourtant il baissa son arme, l’observant d’un œil méfiant. Arthur savait qu’il savait. Il avait vu cela à l’expression de son visage ; il comprenait mieux pourquoi son partenaire semblait souvent penser à des choses drôles. Il n’allait pas relever le petit mensonge cependant. Ce serait de mauvaise foi, et bien que ce trait de caractère fût très présent chez lui, il n’allait pas risquer revenir sur le sujet. Néanmoins la question sur l’amant provoqua une nouvelle forte émotion. Son visage pâle devint entièrement rouge en quelques secondes ; il parut plus gêné que vexé.

- Non !

Dans son esprit, la silhouette de Clarence se dessina ; il imagina parfaitement son visage, tous les détails qu’il avait observés discrètement, lorsqu’il était assis à côté de lui, feignant être intéressé par une lecture quelconque. L’autre homme était une œuvre plus intéressante à étudier. Clarence qui n’était pas son amant, mais qui en savait plus sur lui que quiconque. Même son épouse était morte sans connaître la vérité. Cela l’ennuyait assez que Nathaniel en sache autant, maintenant, surtout par inadvertance. Ce n’était plus autant spécial. Il ne méritait pas d’en savoir autant. Arthur frappa sa main contre son visage et, dramatiquement, se recroquevilla dans son coin du fiacre.

- Non, je n’ai pas d’amant. Cessez. Chut. Taisez-vous. Je ne peux pas tomber amoureux après ce qu’il s’est passé. Je ne peux pas revivre ça. Non. Non. Non. Non. Non !

Si ? Arthur prit une grande inspiration, avala sa salive de travers, s’étouffa. Sa panique devait donner un spectacle assez étrange, un peu ridicule. Tant qu’à connaître ses secrets, Nathaniel pouvait bien savoir également qu’il était une dramaqueen anxieuse. Une fois calmé – ou presque -, il rangea son arme à sa place et se redressa, remettant sa cravate en place pour feindre avoir la situation sous contrôle.

- Pardon. Je dois m’attendre à quel genre de chantage ? Pour acheter votre silence sur… Euh… Tout cela.

Arthur le regarda de travers, appréciant peu la taquinerie, quelques mots vulgaires bien écossais traversant son esprit sans qu’il ne puisse s’en empêcher. Il soupira, puis entreprit de se mordre la lèvre jusqu’à sentir le goût métallique familier, presque rassurant, sur sa langue. Il ne lui restait plus qu’à, comme habituellement, ignorer ses sentiments et accepter la situation telle qu’elle était, puisqu’il n’y avait aucun moyen de revenir en arrière.

- Merci.

Fit-il – pas à haute voix, car cela lui demandait trop d’effort -, avant de détourner le regard vers la fenêtre. Il se doutait que ce n’était pas un problème pour la Ligue ; elle était bien étrange même sans un homme avec une fausse identité. Il n’était pas le pire des criminels.

- Non, vous ne vous trompez pas. C’est d’ailleurs assez… Rassurant pour moi qu’à la Ligue on préfère mon titre de Chasseur plutôt que celui d’écrivain. Je suis content que l’on ne m’appelle pas Sir non plus.

Il sourit légèrement, décidant d’être pour une fois honnête en se confiant à Nathaniel. Il n’avait pas à le faire, c’était simplement un désir égoïste ; laisser un peu du lourd poids sur ses épaules à quelqu’un d’autre, après l’avoir fait injustement, plus violemment, avec le père Clarence. Arthur retint une grimace en se souvenant de la tasse balancée contre le mur, les brouillons déchirés... Et aujourd’hui, viser l’avocat de son arme, dans la panique. Des vacances, seraient sans doute bien. Sur une île déserte. Là où le crime ne pourra pas me suivre.

- Le vrai Doyle a disparu je ne sais où. Holmes également. Je peux écrire sans eux car je suis doué pour imiter, j’aime écrire, mais je suis coincé. Et si la vérité éclate je ne saurais comment redevenir Crawford. Cela fait bien trop longtemps. Je ne sais pas tellement ce qui fait réellement mon identité, j’ai tellement joué que j’ai l’impression que tout est vrai. Je préfère penser cela, que découvrir qu’au fond je n’ai toujours été qu’une coquille vide.

Il haussa les épaules, comme s’il venait de parler de quelque chose d’aussi triviale que la couleur du ciel, puis se redressa lorsqu’il sentit le fiacre ralentir.

- Mais nous arrivons, c’est une histoire pour un autre jour. Un jour qui n’arrivera jamais, j’en ai déjà trop dit, et vous en avez trop vu. Allons-y.

Arthur connaissait la nature de Nathaniel, même très bien puisqu’elle était semblable à la sienne. Il allait devoir échafauder un plan pour lui faire oublier qu’il avait des questions à poser. Plus tard, le travail avant tout. Il retint son nouveau nom pour la soirée, alors qu’il suivit son « maitre » d’un pas moins bien assuré, celui d’un valet qui cherchait à s’effacer – Arthur cherchait réellement à ne pas se faire remarquer, tout en jouant le rôle de la personne discrète pour que ce ne soit pas trop évident. Fatigué par ses propres pensées, il observa plutôt les alentours. Les lieux étaient visiblement décorés par un homme qui cherchait à compenser quelque chose, s’il en croyait les trophées de chasse qui ornaient les murs. Comme pour Moran, une histoire de gros fusil pour un petit-

Ses pensées furent interrompues lorsque la conversation vint à lui. Il offrit un sourire timide au majordome, absolument dégoûté de devoir tordre ses lèvres pour un homme qui permettait pareilles manigances. Puis, tournant la tête vers Nathaniel, toujours avec ce parfait sourire – quoiqu’un peu plus sincère.

- Amusez-vous bien, Sir.

Il suivit alors le majordome, valise toujours en main. Il mémorisait chaque couloir, chaque porte ; chaque élément qu’il trouvait curieux, les photos sur les murs et les visages des personnes. Arrivé à l’office, on l’installa à table à côté d’une jeune servante. Elle semblait mal à l’aise au milieu des hommes, pourtant se détendit un peu lorsqu’une femme de chambre, plus âgée, lui sourit de manière rassurante. Arthur devinait aisément ce dont elles avaient pu être victimes, et fût de nouveau envahi d’une vive colère, qu’il cacha à la perfection, par la force de l’habitude.

- Je crois que j’ai des témoins, je les questionnerai lorsque le majordome parti. Si jamais vous avez besoin d’aide prévenez-moi.

Il se fera un plaisir d’ajouter quelques têtes au mur de l’entrée.

Il regarda Nathaniel partir avec un serviteur, espérant qu’il le contact au cas où un danger se présentait. Quant à lui-même, il suivit le majordome qui le guida jusqu’à la salle où les serviteurs préparaient le dîner. A peine l’homme était parti s’occuper du reste des festivités, que Nathaniel reprenait contact en lui envoyant des images des objets qui servaient au sacrifice – il envoya en retour un sec « j’arrive », et dû fournier un violent effort pour que sa colère ne se lise pas sur le visage.

Il veilla à ce qu’on ne le regarde pas, avant de se faufiler dans les couloirs jusqu’à la salle où son « maitre » se trouvait. Ici, il resta tapi dans l’ombre afin d’écouter ce qui s’y tramait ; chaque bruit de tissus et de talons, chaque clameurs porcines des spectateurs. Il serra les dents, écœuré même sans le visuel – il ne pouvait s’empêcher d’imaginer sa mère à la place de cette pauvre femme. Il espérait que Nathaniel n’avait pas vu cela. « J’attends dans le couloir ». A contre-cœur il posa sa valise, bien trop encombrante pour passer à l’action, puis sortit son arme de sa poche.

- D’abord sauver la fille, puis je saignerai le propriétaire.

Il se ferait une joie d’user du couteau avec lequel ils égorgeaient les prostituées. Arthur soupira longuement, serrant l’arme dans sa main.

- Désolé. Ce n’est pas professionnel. Nous le ramènerons à la Ligue. Prévenez-moi quand agir.