breathe - you'll find yourself again (+ Tomoe)

Tomoe se rendit compte par sa mise en garde qu'il craignait désormais les manifestations de son don. Il ne le maîtrisait plus et il craignait les conséquences d'un dérapage non contrôlé qui causerait des blessures à autrui. C'était honorable de s'en soucier, mais il devait retrouver la confiance qu'il avait et ne plus se soucier de blesser quelqu'un. Il devait être sûr de lui, certain d'être en totale maîtrise, pour lui-même et pour les autres.

Quoiqu'il en soit, elle opina du chef. Elle ne commettrait pas l'imprudence de le surprendre une deuxième fois avec tout ce bassin à sa disposition. Si elle pensait qu'il devait reprendre confiance, ce n'était pas en le poussant à la blesser bêtement. Chaque chose en son temps. Le traumatisme dont il était victime était ancré depuis un moment, et le défaire, le dénouer, prendrait du temps. Des jours, des mois, des années. Elle n'en savait rien. Elle ne le connaissait pas assez pour jauger de sa force de caractère à ce sujet là.

« Je ne vous surprendrai pas. »

Elle le laissa s'installer les pieds dans l'eau donc, debout au bord du bassin. Elle l'observa un instant et lui proposa de continuer ses exercices de respiration. Il s'y employait depuis un moment maintenant. Le soleil tapait, mais c'était plus agréable que pénible pour l'heure. La jeune femme essayait de ne pas le déranger. Assise au bord de l'eau, elle faisait tremper ses pieds avec beaucoup d'impudeur pour une Lady. Mais l'envie était trop forte et son honneur ne craignait pas grand chose dans ce endroit désert et en compagnie de ce jeune homme.

« Concentrez vous sur votre respiration, sur l'eau qui lèche vos pieds, qui s'insinue entre vos orteils. Sentez comme elle est paisible, à peine troublée par la cascade qui la remue un peu. Elle retrouve rapidement son calme. Imaginez vous à sa place. Vous êtes un tourbillon, et plus vous vous éloignez de votre nombril, plus vous êtes paisible. Identifiez vous à cette cascade. Faites de cet endroit une extension de vous. »

Tomoe l'encourageait d'une voix douce, essayant de le guider en le plongeant dans son élément : l'eau.

« Votre pouvoir a sûrement de nombreuses facettes, tout comme ce bassin. Ici il accueil la vie, ici il est violent, là bas il est calme, serein, paisible. Concentrez vous sur votre pouvoir qui est paisible, serein, calme, concentrez vous dessus et laissez le vous envahir. Doucement, comme l'eau qui s'écoule lentement sur une surface qui est a peine inclinée. Vous maîtrisez l'inclinaison, et vous décidez que la pente est toute douce, suivez là, contrôlez la pente. »

Les propos de la nippone, d'abord évoqués avec douceur, étaient devenus un murmure ténu qui se noyait presque dans le bruit ambiant de la cascade.

eire chronicles

Il se dispersait dans ses pensées. Tomoe le sentait. Il n'arrivait pas à laisser de côté son expérience pour se concentrer que sur l'instant présent. Il craignait sans doute de faire du mal autour de lui, ou bien se sentait-il impuissant à contrôler les aspects différents de son pouvoir qu'il était en train d'énumérer. Très sincèrement, la nippone doutait fortement de parvenir à quoique ce soit avec lui en une seule séance. Il faudrait certainement du temps pour délier son esprit et qu'il parvienne à retrouver suffisamment de confiance pour parvenir à ne plus se laisser dompter par sa peur.

« Maintenant... maintenant vous respirez. Vous êtes calme. Vous sentez vos pensées parasites couler sur vous, un peu comme quand vous prenez votre douche. L'eau ruisselle, et s'évacue par le bas. Laissez vos pensées ruisseler, et s'évacuer par le bas. Se faire engloutir dans ce bassin empli de quiétude. Il est suffisamment en paix pour accueillir vos troubles les plus profonds. »

Elle essayait de rebondir, de continuer de le guider de sa voix douce et murmurante, comme un petit ruisseau qu'on entend au loin parmi les arbres, sans trop savoir s'il est là tout proche, où plus loin.

« J'approche de vous, doucement, je ne vais pas vous surprendre, simplement me mettre derrière vous. N'ayez crainte. » murmura-t-elle en se redressant.

Elle essayait de conserver son équilibre dans l'onde, mais les rochers qui tapissaient le bord du bassin étaient glissant. Ce n'était pas un exercice aisé, mais elle prenait cela comme un challenge personnel que de rester debout, sans faire de vagues à son tour. Elle aimait se donner de petits défis comme ça, tout simples, mais qui restaient valorisants.

De fait, elle approcha du jeune homme. Ainsi, elle pourrait mieux lui parler, et aussi, si vraiment elle voyait qu'il était dans le mal, et qu'il n'y parvenait pas, elle essaierait de le toucher avec son pouvoir d'esprit du renard lumineux, pour l'apaiser au plus profond de lui-même. Ce serait temporaire, mais peut-être que cela lui permettrait d'ouvrir une nouvelle porte vers le retour à la normal. Peut-être.

« Vous devez sentir sur vos jambes les vibrations de mon approche, vous devez percevoir les mouvements de l'air que j'ai provoqué, sentir mon parfum, prendre conscience de ma voix qui approche, de l'espace que je vous prends, vous devez être dans cet état de pleine conscience totale, et sentir tout cela à la fois, car ici, vous êtes le maître de votre centre, vous tenez votre position comme un rocher, conscient de tout ce qui vous entoure, et pourtant, immuable, partie prenante de ce bassin qui est une extension de vous-même... » murmura-t-elle dans un souffle.

eire chronicles

Tomoe trouvait cela encourageant. Certes, la douleur perceptible dans la voix du jeune homme lui laissait penser qu’il trouvait l’expérience plus amer que positive mais pour elle, c’était un progrès. En se concentrant et en faisant la paix avec lui même quelques secondes, il avait réussi à toucher du doigt son don, sciemment et en toute quiétude. Le début du travail commençait maintenant. Même si elle aurait préféré le voir fanfaronner comme si tout était déjà acquis que de le voir s’effondrer de cette façon.

Ce jeune homme n’était pas un exemple de combativité. Elle avait peur de s’énerver de le tirer par la main. Elle restait de ce genre de professeur à être dur avec ses élèves, avec des élèves qui en voulaient. Elle en avait conscience, ce qui était déjà un bon point et ainsi elle pouvait elle aussi prendre sur elle pour ne pas céder à une pulsion d’énervement passagère qui réduirait à néant les efforts fournis jusque là et étiolerait la confiance toute relative qui était en train de naître entre eux. Elle devait se maîtriser, et heureusement, elle n’était pas mauvaise à ce jeu là.

« Allons, ne vous découragez pas. Vous venez de faire un énorme progrès Cailean. » dit elle en commençant à faire le tour du jeune homme pour venir devant lui et le relever.

« Vous apprenez de nouveau à marcher, vous avez réussi quelques pas, la sensation était certainement douloureuse mais grisante et vous êtes retombé. » Elle lui tendit une main. S’il espérait un câlin, il s’était trompé de personne, Tomoe n’étant pas très tactile. « Aller, levez-vous et recommençons. Ça ira de mieux en mieux, il faut juste faire un pas après l’autre. »

Ce faisant, elle le tira un peu vers elle, et l’inévitable se produisit. Ses pieds nus ripèrent sur la roche tapissée d’algues et elle se sentit partir. Avant d’avoir pu dire ouf, elle se retrouva complètement immergée dans l’eau qui n’était pas froide mais qui était saisissante après être restée au soleil un moment. Quand elle revint à la surface, complètement trempée, elle resta sur son séant, les deux mains posées derrière elle pour la soutenir, ses cheveux noirs tapissant presque complètement son faciès. Sa robe était plaquée à ses courbes.

Et elle éclata de rire.

eire chronicles

Son rire s'atténua un peu dans sa gorge tandis que l'eau avait subitement disparu, sous l'impulsion du jeune sorcier émotif. Puis l'onde revint, refluant avec fracas dans le bassin, la ballottant doucement de ses vagues avant qu'elle ne reprenne sa contenance habituelle. Tomoe sentait qu'elle était soulevée doucement, comme quand elle s'asseyait sur le bord d'une plage les fesses dans l'eau salée et qu'une grosse vague venait la soulever un petit peu du sable pour la déposer un peu plus loin. Un sentiment étrange d'être dans une apesanteur toute relative.

De penser à la plage, l'air iodée, le vent marin, elle repensa subitement à son premier mari, celui dont elle avait emmené la tête jusqu'à l'océan pour l'y laisser, et mourir avec lui. Elle avait été repêchée par des moines. Une partie de sa vie si lointaine maintenant. Pourquoi y penser maintenant alors qu'elle n'y songeait jamais vraiment depuis un bons nombres d'années ? Il n'y avait ni sable, ni eau salée, ni tête qui se promène pourtant. Peut-être parce qu'elle avait flotté entre deux eaux un moment en voulant se noyer pour rejoindre son mari et maître, toute capitaine de son armée qu'elle était. Elle avait la double casquette, celle d'épouse et de serviteur. Si l'épouse pouvait restée veuve, le serviteur lui devait rejoindre son maître dans son nouveau royaume.

Son rire s'était transformée en sourire. Minamoto no Yoshinaka, son premier époux, serait certainement fier de la femme qu'elle était devenue aujourd'hui malgré qu'il devait être contrariée qu'elle ait survécu à son suicide. Cela manquait cruellement d'honneur.

Elle finit néanmoins par acquiescer à la question du jeune homme, un peu distraitement.

« Oui, ça va. », dit-elle d'une voix douce. Son sourire s'accentua, tandis qu'elle conservait sur son visage d'habitude si neutre, toutes les traces de son rire. « Chassez ce ton inquiet de votre voix, je n'avais pas ri de si bon cœur depuis longtemps. »

L'eau était bonne.

« On dirait que la surprise vous a encore fait utiliser votre pouvoir. Au moins, je vois un peu de quoi vous êtes capable comme ça. »

Elle laissa ses mains barboter dans l'eau, dans laquelle elle était toujours assise, avant de les ramener devant elle dans un geste un peu plus franc et rapide, tout ça pour... arroser Cailean d'une gerbe d'eau. Elle le regarda d'un air entendu, son air mutin de renarde peint sur le visage.

« Aucune raison que je sois la seule mouillée ! » fit-elle dans la foulée.

eire chronicles

La surprise l'empêchait de réfléchir, et de fait, il était spontané dans l'utilisation de son pouvoir. Son cerveau se débarrassait de toute pensée consciente et cela devenait un réflexe. Cette fois, il n'avait pas eu besoin de se défendre sous l'effet du saisissement, mais, comme il avait sans doute un bon fond, il avait eu besoin de protéger la nippone d'un petit séjour dans l'eau bien malencontreux.

En interprétant tout ça, Tomoe se donnait des pistes pour essayer d'orienter les exercices suivant, même si ce n'était pas simple. Surtout pour lui.

« Vous vouliez sans doute que je reste au sec puisque je suis malencontreusement tombée. »

Elle lui adressa un sourire, ce qui ne l'empêcha pas d'essayer de l'arroser. Avait-elle choisi exprès un moment où il ne regardait pas ? Pas vraiment, elle lui avait balancé de la flotte pour le plaisir en fait, sans trop chercher à calculer quoique ce soit.

Et puis il avait l'air perdu dans ses pensées. Il fallait qu'il se détende aussi ! Qu'il vive, qu'il profite. L'eau était bonne, l'air était pur, elle estimait être de bonne compagnie, qu'avait-il besoin de se miner le moral tout le temps ?! Alors elle l'arrosa.

Elle en eut pour son argent en retour. Un énorme seau d'eau lui tomba sur la tête, la noyant définitivement des pieds à la tête. Elle était déjà bien trempée de toute façon... Un peu plus un peu moins, ce n'était pas bien important.

Au moins, elle venait d'éprouver la facette plutôt défensive du pouvoir du jeune homme... Qui perdait le contrôle pour de bon. Deux réactions spontanées en moins de cinq minutes...

« Promis je ne vous arrose plus. » fit-elle d'un ton neutre une fois la drache passée. Elle attrapa sa main pour se redresser, l'eau dégoûtant de ses vêtements et de ses longs cheveux mouillés. Sans lâcher sa main, elle ajouta : « Cessez de vous excuser, je vais bien. Si vous vous excusez de votre pouvoir, comment voulez-vous qu'il ne vous fuit pas ? »

Tomoe le considéra un instant.

« Faites moi sécher maintenant Cailean. » Cela sonnait presque comme un ordre. Elle savait qu'il en était capable. Et elle voulait l'aider, alors, comme elle tenait toujours sa main, elle vint poser sa deuxième main sur le dessus de celle du jeune homme, l'emprisonnant entre ses doigts. « Fermez les yeux, laissez vous aller. »

Elle sentit le renard en elle se redresser, comme s'il dormait, et qu'il venait de s'asseoir maintenant. Alors, elle fit appel à la lumière de son totem pour la déverser dans ses mains, cherchant à apaiser les craintes, les doutes, le mal être du sorcier, qu'il se libère de son fardeau pour un temps, qu'il se sente bien, délié, conscient, heureux... Sans entraves.

eire chronicles